Le temps des adieux
sincèrement ravie de nous accueillir. En la voyant se hâter vers nous, drapée dans des plissés savants retenus par de mignons rubans, je me dis in petto que j’avais oublié combien elle était jolie. Nul doute qu’il allait s’avérer plus agréable de nous entretenir avec elle que d’échanger des piques et des menaces plus ou moins voilées avec sa virago de mère. Même si, à ce stade de l’enquête, notre confiance en la jeune Milvia était on ne peut plus limitée. Il faut dire que Petronius et moi avions retenu plusieurs bonnes leçons. Dans le passé, il nous était arrivé à tous les deux de nous faire avoir par de charmantes créatures aux grands yeux innocents.
Quand nous lui reparlâmes du pichet de verre syrien, elle nous resservit la même histoire : il s’agissait d’un cadeau qu’avait reçu Florius, son cher mari. Petronius exigea alors de jeter un coup d’œil dans ses placards.
— Mais tu as déjà tout regardé, s’étonna-t-elle.
— C’est vrai, mais je voudrais y jeter un nouveau coup d’œil, insista-t-il d’un ton ferme.
Ferme, mais qui ne parvenait pas à dissimuler l’admiration qu’il éprouvait pour la jeune femme. Quel faux jeton.
Milvia paraissait inquiète. C’était de bon augure. Elle allait se plaindre de cette visite domiciliaire à sa mère dès que nous aurions tourné les talons. Espérons que Flaccida s’en trouverait déconcertée, en pensant que Milvia nous avait fait des révélations dangereuses lors de notre précédent passage.
— Cette fois, Falco va regarder avec moi.
— Oh ! lui, il est très gentil !
Ainsi, la charmante Milvia ne m’avait pas oublié. Petronius m’adressa une grimace éloquente, puis m’enfonça insidieusement un doigt dans le dos alors que nous nous dirigions à la queue leu leu vers la cuisine.
Pendant une bonne heure, nous examinâmes avec componction des lieues de services de table de grand prix, alignés sur des étagères, disposés sur des buffets ou rangés dans de vastes placards.
De toutes les couleurs. De toutes les formes. Chaque service était prévu pour un banquet réunissant une bonne cinquantaine de convives. Mieux valait ne pas établir de comparaison avec la maigre collection de bols rassemblée dans mon taudis – juste assez pour un repas à plat unique pour deux personnes et une chienne affamée.
Je ne reconnus pas un seul objet. Je n’en étais pas surpris, la maison ayant déjà été fouillée par la quatrième cohorte. J’adressai plusieurs signes de tête à Petro, mais il ne paraissait pas du tout pressé de partir. Il sourit à Milvia qui nous avait tout montré elle-même avec beaucoup de bonne volonté.
— Retournons au salon, suggéra-t-il. J’aimerais que tu me précises deux ou trois détails…
Aussitôt dit, aussitôt fait. Nous retournâmes nous asseoir dans la vaste pièce décorée dans des tons de blanc, de vert et de bleu, et dotée de ces meubles égyptiens que je déteste parce qu’ils paraissent si fragiles que vous craignez sans cesse qu’ils s’effondrent sous votre poids si vous osez remuer le petit doigt. Quant à la jeune et sémillante propriétaire des lieux, elle n’était pas mon type non plus. J’avais aimé naguère celles qui souriaient beaucoup et passaient leur temps à parader dans de beaux atours, mais j’avais bien grandi au cours des deux ou trois dernières années. Cependant, je devais être le seul à avoir évolué. Petronius arborait son air entêté. Milvia avait beau ne pas inspirer confiance, elle représentait l’espèce de marionnette aux yeux brillants avec laquelle Petronius avait toujours envie de parler de la pluie et du beau temps. J’avais l’impression d’être ramené plus de dix ans en arrière. Et comme d’habitude, je ne voyais pas comment me sortir de cette situation. Mentionner d’autres rendez-vous importants qui nous attendaient ne le pousserait qu’à s’attarder davantage.
— Cette pièce est vraiment magnifique ! s’enthousiasma Petro en regardant autour de lui.
Il paraissait parfaitement détendu, s’exprimait d’une voix chaude, rassurante. Milvia lui répondit par un sourire.
— Méfie-toi, lui conseillai-je. Au moindre signe d’intérêt de ta part, il va tenter de te vendre des fresques minables.
La jeune femme éclata de rire.
— On peut dire que vous ne ressemblez pas à des représentants de la loi, tous les deux !
— Vraiment ? (Petronius me fit un clin d’œil
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