Le temps des adieux
un frisson, il déclara, confirmant mes pires craintes :
— On a d’abord remarqué les lanières de cuir. On lui avait enfoncé le disque au fond de la gorge.
Je sentais quelque chose qui me comprimait la poitrine. Je revoyais le visage encore quelque peu enfantin du pauvre garçon, ses yeux brillants et son sourire jovial.
— Il s’agit donc bien de quelqu’un qui appartenait à la quatrième cohorte ? demanda mon beau-frère.
— Oui, acquiesçai-je tristement. J’avais fait sa connaissance. Sa mort a des implications extrêmement graves, Gaius. Pour la Quatrième et pour Rome. Je vais t’accompagner chez Rubella.
Je repliai soigneusement le tissu autour de son précieux contenu. Pensant que j’allais le lui rendre, mon beau-frère tendit la main. En vain.
Nous trouvâmes Marcus Rubella au quartier général de la cohorte. J’en fus surpris. Il était l’heure où la plupart des gens pensent à se détendre et à manger. Je m’étais imaginé que le tribun était du genre à travailler à heures fixes, le minimum d’heures. Je n’aurais pas été étonné d’apprendre, en arrivant, qu’il était déjà parti pour les thermes, armé de son flacon d’huile odorante et de son strigile.
La réalité nous apparut tout autre. Il était occupé à étudier des documents dans son bureau. Et ce fut tout juste s’il réagit à notre entrée. Quand, lassé d’attendre, je finis par lui signaler qu’il y avait avis de tempête, il s’intéressa enfin au motif de notre présence.
Gaius Bæbius se livra à un compte rendu des événements, et je parvins à l’empêcher de sombrer dans un amphigouri indigeste. Après qu’il eut terminé, Rubella garda son calme. Et il ne prit aucune décision immédiate. Sa seule réaction fut de dire qu’il allait adresser une lettre à la famille pour exprimer ses regrets et sa sympathie. Voilà un homme qui préférait réfléchir avant d’agir. Ou peut-être préférait-il laisser les événements suivre leur cours sans intervenir ?
— Falco, as-tu idée de l’endroit où se cache Petronius Longus ?
Oui, j’en avais parfaitement idée – mais il était hors de question que je le mette au courant.
— Il comptait interroger quelqu’un. Je pense le retrouver facilement.
— Parfait. (Le dévoreur de graines de tournesol n’avait, me semblait-il, aucune envie de se mouiller.) Alors, je compte sur toi pour l’informer.
Encore merci, tribun !
Je quittai les lieux en compagnie de Gaius Bæbius Je parvins ensuite à me débarrasser de lui avec la plus extrême difficulté. Il ne comprenait jamais quand on n’avait pas besoin de lui. Les rues étaient sombres, et c’est en remuant des pensées plus sombres encore que j’accomplis le trajet qui me mena du douzième secteur, où la quatrième cohorte avait son quartier général, jusqu’à la pente de l’Aventin proche du Circus Maximus. J’avançais au rythme des piaillements des mouettes qui tournoyaient au-dessus des quais du Tibre. Sans doute se trouvaient-elles toujours là, mais ce soir leur présence me portait sur les nerfs. Ce soir, tout ce qui était susceptible de me rappeler la mer me portait sur les nerfs.
Partout, je rencontrais des groupes qui se rendaient à des banquets. Des femmes au visage chevalin poussaient des petits cris ridicules. De grossiers personnages houspillaient leurs esclaves pour qu’ils trottent plus vite. Tous les boutiquiers me paraissaient animés de mauvaises intentions. Tous les passants que je croisais prenaient à mes yeux des allures de voyous.
Un aimable portier me laissa entrer dans l’élégante résidence de Milvia où j’appris que son mari Florius n’était pas encore rentré. Personne ne semblait s’en inquiéter – le fait devait être habituel. S’il était invité à dîner, il aurait au moins dû repasser chez lui changer de tunique, et nombre d’épouses exigeraient d’être incluses dans l’invitation. Pourtant, personne n’était capable de me renseigner sur l’heure à laquelle il reviendrait au logis. Je demandai donc, avec circonspection, si un officier des vigiles s’était présenté en fin d’après-midi. Il me fut répondu qu’il s’entretenait en ce moment même avec Milvia. En privé.
Exactement ce que j’avais redouté. Encore un mari respectable qui donnait des coups de canif dans le contrat. Petronius Longus était capable de se conduire d’une façon éhontée.
De nouveau, je fus invité à entrer
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