Le temps des adieux
déjà accompli des missions comme espion au cœur de citadelles ennemies, mais j’avais alors la possibilité de dissimuler mon identité. C’était loin d’être le cas ici. Helena avait très certainement raison. Nous foncions la tête la première dans un piège qui n’allait pas tarder à se refermer sur nous. J’eus soudain la chair de poule à la pensée qu’on m’avait préparé un comité d’accueil.
Une faible odeur d’encens flottait dans l’air. Je crus reconnaître l’endroit. J’avançais le long d’un couloir plus large où résonnaient de la musique et des rires. Je pressai le pas et me retrouvai plus vite que je ne l’aurais voulu dans la grande salle où Petro et moi avions pensé que des orgies se déroulaient. Nous avions vu juste. Des braseros disposés çà et là se dégageait une odeur d’huile parfumée qui m’incommoda quelque peu. Des candélabres éclairaient la scène. Partout se chevauchaient des guirlandes de roses et d’autres fleurs exotiques. Un petit orchestre jouait : tambourins et flûtes de Pan. Les musiciennes étaient épanouies et vêtues de tuniques transparentes. Un homme en costume de satyre – culottes de peau de chèvre, sabots fourchus, impressionnant outillage en bon ordre de marche –, fit un geste dans ma direction pour m’accueillir. Son visage maquillé et son sourire délicat formaient un contraste étonnant avec ses attributs virils hors du commun. Au centre, quatre ravissantes jeunes filles, nues, dont aucune ne devait avoir plus de quinze ans, se livraient à une danse langoureuse.
Plusieurs hommes assistaient au spectacle en buvant du vin ou en se curant les dents.
En face de moi, la porte conduisait à l’appartement de Lalage. De chaque côté, deux grandes torches étaient fichées dans des urnes qui m’arrivaient à la taille. Sur le seuil était étalée la peau irrégulièrement rayée d’un fauve. Pas très loin de là, un homme incroyablement musclé était heureusement fort occupé à baratiner un jouvenceau tenant une aiguière de bronze.
Je reportai mes yeux sur le spectacle et compris que le moment était venu de partir ou de me laisser séduire. Mon choix fut vite fait.
Je fis mine de chercher un endroit où m’asseoir tout en m’approchant insensiblement de la porte de Lalage. Je gardais les yeux fixés sur le tableau vivant, en m’efforçant de paraître aussi fasciné que le reste du public. Trouvant de la main la poignée en forme de tête de bélier, j’entrai vivement dans la pièce et refermai la porte derrière moi, une porte si épaisse qu’elle assourdissait le bruit de la musique. La pièce dans laquelle je venais de pénétrer baignait dans une obscurité totale. Tout près de moi, j’entendis un bruit étouffé accompagné d’un son métallique. Je pensai tout de suite à Igullius.
Je rouvris la porte pour me saisir d’une des torches. C’est à ce moment que je perçus un mouvement et le bruit d’une chaîne qui, lancée comme un lasso par un expert, paralysa mes mouvements. Ma torche s’était écrasée sur le sol de mosaïque, mais produisait toujours une faible lumière qui me permit de distinguer le centurion Tibullinus qui lançait une deuxième chaîne pour parachever le travail de son acolyte, Arica.
Je n’avais qu’un seul choix. Mes bras venant de se trouver immobilisés avec une brutalité inouïe, je me rejetai brusquement en arrière pour tenter de déséquilibrer Arica. Quand il se pencha vers moi, j’étais déjà couché sur le dos et lui décochai deux violents coups de bottes. Il laissa échapper un cri mais ne s’effondra pas comme je l’avais espéré. Cet individu devait posséder des côtes de fer. Quant à moi, toujours sur le dos et entortillé dans mes chaînes, j’étais plus impuissant que jamais. Arica, pour se venger, m’écrasa un pied sur le côté du visage, manquant m’arracher une oreille et me décoller le cuir chevelu. Les deux vigiles me traînèrent sur le sol en tirant sur les chaînes. J’accrochai la torche au passage, mais j’eus la chance de ne pas prendre feu. Ils m’entourèrent de suffisamment de chaînes pour empêcher de bouger un éléphant fou de colère.
Je perdis rapidement le compte des coups que je recevais. Je hurlai à l’aide, en vain. Je m’appelle Didius Falco, et me venir en aide a toujours été le dernier des soucis des dieux de l’Olympe.
Tibullinus et Arica finirent par se lasser de me taper dessus et fixèrent
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