Le temps des adieux

milieu de toute cette poussière !
    — Tu ressembles à Aphrodite sortant du bain en éternuant !
    — Falco, face de rat !
    — Quoi de neuf, Lenia ? demandai-je d’un air jovial.
    — Les affaires sont pas brillantes et le temps est menaçant.
    — Ça, c’est pas nouveau. Dis-moi plutôt : est-ce que j’ai manqué ton mariage ?
    — Évite de me mettre en colère ! s’exclama-t-elle.
    Elle était fiancée à Smaractus – un arrangement commercial : chacun d’eux avait envie de mettre la main sur les affaires de l’autre. Le mépris de Lenia pour Smaractus était encore plus affirmé que le mien, même si elle éprouvait un respect quasi religieux pour son argent. Je savais qu’elle s’était débrouillée à faire vérifier méticuleusement ses comptes avant de décider qu’il était l’homme de sa vie. Les rêves de Lenia restaient très terre à terre. Et elle avait apparemment l’intention de mener ses projets à bien.
    — Le mariage est fixé aux calendes de novembre, assura-t-elle. Tu seras invité si tu promets de dégobiller sur sa mère.
    L’idée que mon propriétaire avait encore une mère me laissa sans voix pendant un moment, ce qui déclencha le rire de Lenia.
    — Il faut trouver des distractions pour cette fête. Les préparatifs vont me rendre folle, Falco. Tu voudrais pas interpréter les présages pour nous ?
    — Mais enfin, Lenia, il te faut un prêtre pour ça.
    Outragée, la blanchisseuse se mit à hurler :
    — Tu crois que je pourrais me fier à un de ces jean-foutre ? Je les connais trop bien. N’oublie pas que je lave leurs sous-vêtements… Tu es un citoyen. Tu peux le faire si tu veux te conduire en ami.
    — Le devoir d’un homme est d’honorer les dieux en son propre foyer, entonnai-je, comme si j’étais soudain devenu docteur en piété.
    — Ma proposition t’effraie ?
    — Je cherche une bonne raison pour ne pas l’accepter, répondis-je franchement.
    — Nous habitons le même immeuble.
    — Ça ne m’oblige pas à étudier un foie de mouton au profit du propriétaire. Ça n’est pas inscrit dans mon bail.
    — Falco, je t’en prie. Fais-le pour moi.
    Je perdais du terrain. Lenia, très superstitieuse, paraissait sincèrement troublée. J’allais devoir payer le prix de la vieille amitié qui nous liait.
    — Bon, je vais y réfléchir… Mais n’oublie pas ce que je t’ai toujours dit, femme. Tu t’apprêtes à commettre une grosse bêtise.
    — Occupe-toi de tes oignons, rétorqua-t-elle de sa voix rauque. J’avais appris que tu étais rentré de voyage. Tu t’es pas précipité pour venir me voir !
    — J’avais besoin de repos. J’ai passé tout mon temps au lit, précisai-je avec un sourire salace.
    — Foutu vaurien ! Où étais-tu passé, cette fois ? Et est-ce que ça t’a rapporté quelque chose, au moins ?
    — J’étais en Orient. Et la réponse à la deuxième question est non. Bien évidemment.
    — Tu veux rien me dire.
    — Je veux surtout éviter de donner une excuse à Smaractus pour augmenter mon loyer. (Ce qui me rappela soudain quelque chose.) De toute façon, je ne peux plus rester dans ce taudis humide, Lenia. Il faut que je trouve un endroit plus salubre où habiter.
    — Oh ! Jupiter ! s’exclama-t-elle immédiatement. Il attend un enfant !
    Complètement pris de court par sa perspicacité, je ne pus m’empêcher de rougir. Je tentai de donner le change :
    — Mais qu’est-ce que tu vas chercher. Je sais prendre mes précautions.
    — Didius Falco, je t’ai déjà vu accomplir un certain nombre d’inepties. (Je pouvais difficilement la contredire. Elle m’avait connu joyeux célibataire.) Mais je m’attendais pas à celle-là !
    Ce fut à mon tour de lui dire de s’occuper de ce qui la regardait, et à son tour de ricaner en catimini.
    Je changeai immédiatement de sujet.
    — Est-ce que ton tendre fiancé est toujours propriétaire de cette ruine de l’autre côté de la Cour de la Fontaine ?
    Smaractus n’effectuait jamais la moindre réparation.
    — De quoi parles-tu, Falco ?
    — Le logement du premier étage. Attends que je me remémore ses termes… Voilà, j’y suis : « Appartement tout confort à loyer modéré. Affaire à saisir. » Tu vois ce que je veux dire ?
    — Tu veux parler de l’annonce pour ce trou à rat qui est placardée depuis quatre ans sur mon mur ? Sois pas assez idiot pour saisir cette affaire-là, Falco. Je crois bien