Le temps des adieux
dresser immédiatement une copie.
Personnellement, je me retrouvai affecté en tant qu’officier surnuméraire pour travailler aux côtés de Petronius Longus. Et comme toujours dans ces cas-là, en sortant de la réunion, je ne savais pas très bien ce qu’on attendait de moi.
12
Tout en passant une assiette de gourmandises au fromage à Silvia, Helena Justina demanda :
— Alors, Marcus, parti pour une balade au Forum, tu es tombé sur une épidémie de crimes, et te voilà officier-enquêteur auprès de Petronius ?
— J’aime autant ça que d’aller au marché, répondis-je.
Ce que je venais effectivement de faire car nous recevions nos amis dans notre pigeonnier.
— Je suis sûre que ça va leur plaire de travailler ensemble, déclara Arria Silvia.
La femme de Petro était petite et jolie, vive et intelligente, avec des rubans dans les cheveux. C’était le type même de la femme dont j’avais rêvé à une époque de ma vie. Elle avait l’habitude d’assener des évidences. Je suppose que Petro trouvait ça reposant. Ils étaient mariés depuis environ sept ans, et avec trois enfants pour consolider leur affection – ou quoi que ce soit d’autre qui les unissait –, ce mariage paraissait devoir durer. J’avais donc décidé d’oublier que Silvia avait le don de m’agacer.
Helena paraissait s’entendre avec elle, même si leur amitié manquait de chaleur, à la différence de celle qu’elle avait nouée avec ma sœur Maia, par exemple.
— J’espère bien que vous n’allez pas vous disputer, tous les deux, dit Helena en me regardant avec un sourire tranquille.
Que Petro ait saisi l’allusion ou non, il ne répondit rien, préférant sortir avec sa fille sur le balcon. Je le vis alors la soulever pour qu’elle puisse faire pipi dans l’un des pots où j’avais planté des bulbes. Les bulbes risquaient de ne pas s’en remettre, mais il était trop tard pour s’en soucier. Mon ami était un père compétent et absolument pas compliqué. Une leçon pour nous tous.
Les deux autres filles étaient juchées sur mes genoux, s’amusant avec les jouets que nous leur avions rapportés. Nous les adultes, nous éprouvions la satisfaction que procure un bon repas, et nous continuions de déguster un excellent vin venu tout droit des réserves du connaisseur qu’était Petronius. Silvia et lui étaient arrivés assez tôt dans l’après-midi et avaient beaucoup ri en écoutant le récit de nos aventures en Syrie. Les amis aiment bien entendre raconter que vous avez souffert du climat insupportable, que vous vous êtes fait rouler en changeant votre argent, ou que vous avez enduré le martyre à la suite de la piqûre d’arachnides venimeuses. Ça leur évite de partir en vacances eux-mêmes.
Nous nous étions tellement étendus sur le maudit scorpion et sur d’autres souvenirs qu’Helena et moi avions omis la seule nouvelle qui eût passionné Silvia, à savoir que nous étions sur le point de fonder une famille. Ce n’est pas que nous tenions, pour le principe, à garder la chose secrète. C’est que beaucoup trop de choses graves étaient enjeu et que nous n’étions pas encore prêts à en rire. Pourtant, en écoutant Silvia parler de ses filles avec un enthousiasme communicatif, je ne pus m’empêcher de tourner la tête du côté d’Helena et, croisant son regard narquois, je lui adressai un clin d’œil. Nous ayant surpris, et m’attribuant des pensées lubriques, Silvia voulut prendre Petronius à témoin en le regardant d’un air faussement scandalisé. Petronius, comme à son habitude, feignit de n’avoir rien remarqué.
Ce clin d’œil demeura entre Helena et moi comme un bref instant où le temps était resté suspendu.
Les femmes montraient un intérêt pour notre nouvelle enquête, que ni Petro ni moi ne souhaitions. Silvia n’avait pas tardé à réaliser que je tenais Helena Justina au courant de mon travail dans les grandes lignes, tandis que Petro ne lui en touchait mot et ne lui permettait aucune question sur le sujet. Elle ne perdit pas un instant pour profiter de la situation. Elle commença à tirer les vers du nez de ma compagne avec la même ténacité qu’elle avait mise à déchiqueter ses ailerons de poulet marinés dans une sauce au vin poivrée.
Petro et moi étions complices depuis fort longtemps. Alors, tandis que sa femme se livrait à des spéculations, nous mîmes un point d’honneur à l’ignorer et à discuter entre
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