Le temps des adieux
apprit que le bail de location de la boutique lui donnait la jouissance de l’appartement en question, qu’il n’avait jamais eu l’intention d’occuper parce qu’il ne comptait pas croupir Cour de la Fontaine. Il avait d’ailleurs installé sa famille en dehors de Rome et espérait rester bientôt tout le temps à la campagne. De toute façon, le logement n’était pas utilisable, car Smaractus ne l’avait jamais vidé des gravats et autres saloperies qui l’encombraient. Il avait préféré consentir une réduction de loyer au marchand de paniers, ce qui l’arrangeait – et faisait bien mon affaire.
Il nous autorisa à jeter un coup d’œil. Cela manquait de clarté, mais après avoir vécu au sixième étage, nous allions forcément trouver sombres tous les appartements situés près du rez-de-chaussée.
Il n’y avait pas de balcon, pas de vue, pas de cuisine non plus. Et pas de jardin. Il fallait aller quérir l’eau à la fontaine au bout de la rue. C’est là que se trouvaient aussi les latrines. Les thermes et les temples, sur l’Aventin. Les marchés, un peu partout. L’appartement comportait trois pièces, c’est-à-dire une de plus que dans mon logement-bureau actuel. Et plusieurs petits cagibis.
— Oh ! ça me plaît ! s’exclama Helena. Voilà pour mettre les vêtements, les jarres…
— Le berceau ! la coupai-je.
J’évitais Smaractus, mon propriétaire, dans la mesure du possible. Il me suffisait de penser à lui pour perdre immédiatement mon calme. Je jugeais donc préférable de discuter tranquillement de mes projets avec Lenia, mais malheureusement, je choisis mal mon moment. Je débarquai chez elle alors que son promis venait d’y arriver lui-même avec un flacon.
Je refusai de boire avec lui. J’accepte que beaucoup de gens m’offrent un verre, mais je suis suffisamment civilisé pour mettre des barrières. Et de l’autre côté de cette barrière, se tenaient les assassins non repentis, les percepteurs corrompus, les violeurs et Smaractus.
Heureusement, je savais que je le rendais nerveux. Il fut même un temps où il se faisait accompagner par deux gladiateurs du gymnase qu’il dirigeait, à chaque fois qu’il osait montrer le bout de son nez Cour de la Fontaine. Maintenant que Lenia était là pour le protéger de ses locataires lésés, il avait donné congé à ses gros bras. Une bonne idée en soi : les malheureux Asiacus et Rodan étaient tellement mal nourris qu’ils devaient ménager leurs forces.
Je reconnus la voix du propriétaire en franchissant le seuil, mais il était trop tard pour reculer. Dès qu’elle m’aperçut, Lenia, telle une fiancée virginale, minauda :
— Falco va consulter le foie de mouton pour nous, le jour du mariage.
Smaractus n’était pas arrivé depuis longtemps, mais elle était déjà sérieusement éméchée. Difficile de lui jeter la pierre ! Il ne fallait pas avoir toute sa lucidité pour envisager de telles épousailles.
— Il va falloir te méfier ! le menaçai-je.
À son air, je vis qu’il était conscient du danger. Une mauvaise prédiction de ma part pouvait compromettre son bonheur. Une très mauvaise prédiction pouvait pousser Lenia à renoncer à leur projet avant qu’il ait eu le temps de lui passer la bague au doigt – le privant du même coup de ses coffres bien remplis. La perspective de vomir sur sa mère, comme la blanchisseuse me l’avait suggéré, n’était rien comparé au plaisir que me procurerait un mouton coopératif.
— Il est gentil et bon marché, lui expliqua Lenia, pour justifier son choix. (Elle n’insista pas sur le fait que j’étais de son côté). J’ai vu que la petite chienne t’avait adopté, Falco, poursuivit-elle. Elle s’appelle Nux.
— Mais moi, je n’ai aucune intention d’adopter une bâtarde.
— Ah, non ? Et depuis quand as-tu changé de philosophie ?
Smaractus marmonna qu’en tant que prêtre, je manquais par trop d’expérience. Je rétorquai que j’en avais suffisamment pour officier à son mariage. Là-dessus, sa promise me fourra une coupe de vin dans la main. Je la lui rendis.
Les formalités épuisées, nous pouvions passer à l’étape suivante : essayer de nous rouler mutuellement.
Je savais que Smaractus essaierait de magouiller en apprenant que nous comptions devenir les sous-locataires du marchand de paniers. Une manière d’éviter ses combines consistait à ne pas l’informer. Malheureusement, maintenant
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