Le temps des adieux
paraissait préoccupé. Et en effet, il ajouta :
— On traverse une crise.
Il me prenait à témoin comme si j’étais son partenaire en désastre. Pour mon neveu, les relations familiales étaient sacrées, et s’il avait un problème, son oncle se devait de l’aider à le résoudre.
Je tentai lâchement de me défiler :
— Tu sais, Marius, l’empereur m’a chargé d’une mission officielle et je suis très occupé. Mais si tu as besoin d’un conseil, je suis à ta disposition.
— Je pense que je vais me faire sérieusement enguirlander, avoua le petit garçon en m’accompagnant. Je suppose que tu voudrais que je t’en expose les raisons ?
— Franchement, Marius, si on me met un problème de plus sur les épaules, mes jambes vont céder sous moi.
— J’espérais pourtant pouvoir compter sur toi, dit-il sombrement.
Si je ne trouvais pas le courage de l’assommer et d’aller me cacher, j’étais pris au piège.
— Tu es sans pitié ! m’exclamai-je. As-tu déjà envisagé de devenir huissier ?
— Non, je veux être professeur de rhétorique. C’est ce qui me convient.
S’il n’avait pas eu les mêmes yeux que son père – en moins troubles –, je me serais demandé si on ne l’avait pas trouvé lui aussi dans une charrette. Mais peut-être qu’en grandissant, il enverrait tout balader pour s’enfuir avec une gratteuse de harpe.
J’en doutais cependant. Débordant d’une calme assurance, malgré son très jeune âge, Marius avait définitivement banni toute excentricité de sa vie.
Nous avions atteint la laverie.
— Je vais monter, Marius. Si tu as quelque chose à me dire, c’est le moment !
— Tertulla a encore disparu.
— Et alors ? Ça arrive continuellement. Il n’y a pas de raison de s’affoler. D’ailleurs ta grand-mère va sûrement la chercher.
— Oui, mais cette fois-ci, c’est moi qu’on va blâmer.
— Pourquoi veux-tu qu’on te blâme à cause des fugues de Tertulla ? C’est ta cousine, Marius, pas ta sœur. Et personne ne peut l’empêcher de n’en faire qu’à sa tête.
Je me demandai s’il savait qu’on avait voulu l’appeler Marcus, comme moi. S’il se nommait Marius, c’est que Famia, son père, s’était arrêté dans un certain nombre de bars en allant le déclarer. Et, comme si une fois ne suffisait pas, il avait renouvelé son exploit pour son deuxième fils : Ancus au lieu d’Aulus. Pour les filles qui naquirent ensuite, Maia prit la précaution de l’accompagner jusqu’au bureau du censeur.
— Oncle Marcus, il faut que je te dise comment les choses se sont passées.
La vue de ce petit bonhomme souhaitant me confier ses problèmes me faisait fondre, même si j’étais certain que le petit polisson comptait là-dessus.
— Tu devrais être chez toi en train de déjeuner, soupirai-je.
— J’ai peur de m’y montrer.
Il n’avait pourtant pas l’air très effrayé.
— Alors, accompagne-moi.
— Tertulla ne s’est pas sauvée. Elle a bien trop peur de grand-mère. Et grand-mère m’a chargé de l’accompagner à l’école et de la ramener chez sa mère pour déjeuner.
— Alors elle est allée à l’école ce matin ?
— Bien sûr que non ! s’écria Marius avec impatience. Elle a voulu filer dès qu’on est arrivés devant la porte. Mais elle avait promis de venir me rejoindre à la fin des cours.
— Et alors ?
— Elle n’est pas venue. Je suis sûr qu’il lui est arrivé quelque chose, oncle Marcus. Il faut entreprendre des recherches.
— C’est une tête en l’air. Elle a simplement laissé passer l’heure. Tu vas la voir revenir.
Têtu, Marius secoua la tête. Il avait les mêmes boucles que mon père et moi, mais lui se débrouillait à avoir l’air bien peigné.
— Écoute, oncle Marcus, je suis partie prenante dans cette histoire. C’est moi qu’on va accuser de l’avoir perdue. Si tu acceptes de la rechercher, je t’aiderai.
— Il n’en est pas question ! m’exclamai-je sereinement.
Nous avions atteint le sixième étage. Je le fis entrer, puis j’ajoutai, devant sa mine déconfite :
— Toutefois, je ne peux accepter qu’un futur professeur de rhétorique soit pris comme bouc émissaire à cause de cette petite peste de Tertulla.
— Oh ! formidable ! s’exclama Marius, ravi. Voilà quelqu’un qui sera de bon conseil.
Helena arrivait du balcon en portant le bébé dans son panier d’osier. Je lui adressai un sourire
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