Le temps des adieux
trop petits pour cette vaste pièce. Helena s’installa avec sa tablette sur les genoux.
— Mon assistante va prendre quelques notes, informai-je Flaccida qui m’indiqua par geste que la chose lui était parfaitement indifférente.
Elle acceptait la présence d’Helena sans sourciller.
— Alors, qu’est-ce qui t’amène ici ?
— En partie ton mari.
— Mon mari est parti en exil.
— Oui, je sais. Je l’ai aperçu au moment où il s’embarquait. Comment comptes-tu te débrouiller ? Cette maison est en vente…
— Je vais aller vivre chez ma fille et mon gendre.
Elle s’exprimait très sèchement, comme pour empêcher quiconque de manifester la moindre sympathie à son égard. Elle devait se trouver encore trop jeune pour accepter qu’on la plaigne. En outre, elle n’était ni veuve ni divorcée. Je doutais cependant de sa faculté à s’adapter au mode de vie d’une génération plus jeune. Elle n’était pas du genre à faire le moindre effort pour y mettre du sien.
— Ta fille doit représenter un grand réconfort pour toi, avançai-je poliment.
— Apprends-moi plutôt le motif de ta visite, rétorqua-t-elle d’un ton acerbe. De quelle nouvelle s’agit-il ? De la mort de quelqu’un ?
Sans la quitter des yeux, j’annonçai :
— Oui. Celle de Nonnius Albius.
— Ce traître, dit-elle posément.
Je cherchai le regard d’Helena et compris qu’elle pensait la même chose que moi : Flaccida était déjà au courant de ce meurtre.
— C’est donc une nouvelle qui te réjouit ?
— Exact.
Je pris le parti d’économiser mon souffle et de ne pas mentionner toutes les personnes dont la vie avait été ruinée par les agissements criminels de son mari.
— Nonnius a été assassiné, Flaccida. Sais-tu quelque chose là-dessus ?
— Non, et je le regrette. J’aimerais offrir une couronne de lauriers à l’assassin.
— Il a d’abord été torturé. Très cruellement. Je pourrais te donner les détails.
— Oh ! ça me plairait beaucoup !
Elle s’exprimait avec un mélange de mépris et de satisfaction qui me mettait assez mal à l’aise. J’en vins même à me demander si Flaccida elle-même ne serait pas capable d’enfoncer la tête d’un homme dans un récipient de bronze et de le regarder se faire mutiler tandis qu’il s’étouffait en gémissant pitoyablement. Elle se tenait complètement immobile, m’observant derrière ses paupières presque closes. Je pouvais parfaitement l’imaginer en train de présider à pareille scène d’horreur.
Plusieurs servantes assistaient à l’entretien. Toutes étaient fort pâles, visiblement mal nourries et maltraitées. Leurs bras étaient couverts de bleus, et l’une d’elles portait encore les traces d’un œil au beurre noir. Nul doute que le maquillage subtil et la coiffure savante de Flaccida étaient obtenus avec une violence qui ne déparerait pas une école de gladiateurs.
— Savais-tu de quel genre d’affaires s’occupait ton mari ?
— Ce que je sais ne regarde que moi.
Je tâchai de ne pas me laisser décourager pour autant.
— As-tu récemment rencontré certains des hommes qui travaillaient pour lui ? Le Meunier, le Petit Icare, Jules César et consorts ?
— Non. Je ne me suis jamais mêlée au petit personnel.
— Est-il vrai qu’ils ont tous quitté Rome ?
— C’est ce que j’ai entendu dire. Les vigiles les ont chassés.
— Tu ignores donc si l’un d’eux se trouve derrière le cambriolage de l’Emporium ?
— Oh ! il y a eu un cambriolage à l’Emporium ? gazouilla-t-elle.
Ce raid n’avait sans doute pas été annoncé à grand fracas dans la gazette locale, mais la nouvelle n’en avait pas moins été répandue à la vitesse de l’éclair. Flaccida se payait tout simplement ma tête.
— Oui. Très important. Quelqu’un qui veut prendre les commandes a sûrement monté le coup.
Et pourquoi pas Flaccida elle-même ? J’eus soudain envie de voir comment elle réagirait en entendant prononcer le nom d’une rivale.
— Tu connais Lalage ?
— Lalage ?
— La patronne d’un bordel qu’on surnomme l’Académie de Platon. (Helena, qui entendait cette appellation pour la première fois, ne put retenir un petit rire.) Elle était en affaires avec ton mari.
— Ah, oui ! Je crois l’avoir rencontrée.
Même si elles étaient les meilleures amies du monde, elle refuserait de l’avouer lors d’un interrogatoire officiel.
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