Le temps des adieux
genre de distraction que j’envisageais. J’ai une idée. Tu y vas seul et je t’attends à la maison.
Flaccida, la femme de Balbinus, occupait une maison de rêve, un joyau d’architecture, au sud du Circus Maximus, assez proche du temple de Cérès. Au cœur d’un quartier résidentiel du onzième district. Un emplacement idéal pour superviser l’empire du crime établi par Balbinus de ce côté-ci du Tibre. Emplacement à cheval sur l’Aventin, mais placé sous la surveillance de la sixième cohorte, comme le champ de courses voisin.
Du moins Flaccida y habitait-elle pour le temps présent. Un grand panneau annonçait que la vaste demeure était mise en vente. Elle avait été confisquée dès l’issue du procès de Balbinus.
À l’intérieur, les pas résonnaient incroyablement. La maison était vide de meubles, mais les installations fixes suffisaient à donner un aperçu du style de vie luxueux de l’empereur du crime. Les mosaïques et les fresques, les plâtres fins et les fontaines étaient d’une grande beauté. Jusqu’aux vasques prévues pour que les oiseaux viennent s’y baigner, qui étaient dorées.
— C’est pas trop mal, ici, remarquai-je.
En réalité, je trouvais les colonnes beaucoup trop massives à mon goût.
— C’était tout de même mieux avec les meubles, dit une voix.
Flaccida était une petite femme mince, blonde – à première vue –, d’environ quarante-cinq ans. De loin, elle paraissait superbe. D’un peu plus près, on remarquait les stigmates d’un passé agité. Elle avait revêtu une tunique d’un tissu si fin que les fils se rompaient sous le poids des broches qui l’agrafaient. Son visage devait tout à l’artifice des cosmétiques appliqués avec le plus grand art. Un visage éclairé par des yeux agités et soupçonneux, où la bouche formait une ligne mince et droite. Ses mains paraissaient trop grandes pour ses bras. Aux deux poignets, elle portait des bracelets qui affichaient trop ouvertement le prix qu’ils avaient coûté. Tous ses doigts s’ornaient de bagues de grande valeur.
Elle nous détailla évidemment de la tête aux pieds. J’étais certain que nous allions passer l’épreuve avec succès. Helena Justina s’était habillée modestement tandis que je portais ce que j’avais de mieux. Se vêtir d’une façon élégante aide toujours à s’introduire chez les riches.
J’avais enfilé une tunique blanche qui sortait tout juste de chez Lenia et m’étais drapé dans une toge dont je savais jouer à l’occasion. Je m’étais rasé de près et avais tenté de conforter l’apparence trompeuse de mon statut social par une discrète application de pommade parfumée. J’avais également pris soin d’accrocher une bourse de cuir à ma ceinture et je ne me gênais pas pour faire étalage de l’énorme bague d’obsidienne héritée de mon grand-oncle.
Helena me suivait avec la plus grande discrétion. Elle était également en blanc – une tunique droite à manches longues sur laquelle elle avait noué une simple ceinture de tissu. Comme elle coiffait toujours ses cheveux on ne peut plus simplement, elle n’y avait rien changé. Son seul bijou était un simple anneau d’argent à l’annulaire qu’elle n’enlevait jamais. Il était possible d’imaginer que c’était une esclave. Moi, cependant, je la voyais davantage sous les traits d’une affranchie ayant reçu une bonne éducation et que j’aurais héritée d’une grand-tante. Quant à Helena Justina, elle paraissait parfaitement à l’aise dans son nouveau rôle.
Je me forçai à sourire pour annoncer :
— Je travaille en étroite collaboration avec Marcus Rubella, le tribun de la quatrième cohorte de vigiles.
— Ah ! Alors tu arrives des bureaux du préfet ?
La voix de Flaccida avait la raucité qui s’acquiert quand on a passé beaucoup de nuits dans des endroits enfumés et peu éclairés.
— Pas vraiment. Je représente quelqu’un de bien plus important…
Il m’était facile de rester dans le vague. La moitié du temps, je ne savais pas moi-même pour qui je travaillais. Elle se contenta de pincer les lèvres et j’ajoutai :
— J’ai des nouvelles à t’apprendre et deux ou trois questions à te poser.
Elle m’indiqua alors un siège d’un geste impatient, sans aucune grâce. Les rares fauteuils qui restaient étaient en argent, avec des accoudoirs représentant des griffons ailés, et des dossiers sinueux. Ils étaient
Weitere Kostenlose Bücher