Le temps des adieux
question. D’où croyais-tu que provenait l’argent de ta famille ?
Voyant qu’Helena l’observait avec des sourcils interrogateurs, elle se résigna à murmurer :
— D’un genre de commerce, je suppose.
— Un genre de commerce, en effet : la revente d’objets volés et la prostitution.
— Je t’en prie, Falco !
Helena comptait bien poursuivre l’interrogatoire elle-même. J’obtempérai docilement.
— Quel métier ton mari exerce-t-il ? demanda-t-elle.
— Oh ! Florius n’a pas besoin de travailler.
— Il a de la chance. Et à quoi s’occupe-t-il, Milvia ?
— Il s’occupe comme tous les autres hommes, je suppose. Je ne l’espionne pas !
— Pourquoi ? Tu t’en moques ? intervins-je. Il pourrait rencontrer d’autres femmes…
Elle eut la bonne grâce de rougir.
— Je sais que ce n’est pas le cas. Il rencontre ses copains.
— Et aucun de ses bons copains n’est un criminel ?
— Non ! (De nouveau, Milvia chercha la protection d’Helena.) Florius se rend aux thermes, va aux courses, discute avec des gens dans le Forum, admire des objets d’art…
— Charmant ! dis-je.
C’était l’activité d’un grand nombre de Romains, un genre de vie susceptible d’être la couverture idéale pour quelqu’un dirigeant un important réseau criminel.
— Donc, Florius mène une vie oisive en compagnie de gens du monde, résuma Helena.
— Qui doit hériter de ton père ? demandai-je abruptement.
— Mais je n’en ai pas la moindre idée !
« Bien sûr, Milvia. Continue à te moquer de moi », pensai-je.
À cet instant-là, une esclave entra chargée d’un plateau sur lequel était posée une ravissante coupe de bronze dans laquelle elle versa du vin chaud aromatisé d’épices à travers une passoire. Milvia nous offrit de se joindre à elle, mais Helena et moi déclinâmes son invitation.
— Quel merveilleux pichet ! s’enthousiasma ma compagne qui n’avait pourtant pas l’habitude de commenter les objets ornant la demeure de parfaits étrangers.
— Il te plaît ? (Sans hésiter, Milvia le vida dans le premier vase venu et le tendit à Helena.) Je te t’offre.
Son geste avait été tellement spontané qu’il était difficile de croire qu’elle cherchait à nous acheter. La servante parut d’ailleurs trouver la chose toute naturelle. Milvia devait être coutumière de ce geste. Fille unique de parents qui appartenaient à un cercle, heureusement, assez restreint, elle devait sans doute avoir du mal à se faire des amis et réagissait en couvrant de cadeaux les rares personnes qu’elle rencontrait. Son mari la négligeait très certainement. Leur vie sociale ne devait pas être très active. Si nous avions pu croire qu’elle ignorait tout des activités de son père, nous aurions eu pitié d’elle.
Helena se tourna vers moi pour me montrer le superbe pichet, et je forçai un sourire sur mes lèvres.
— Tu es très généreuse. C’est une pièce magnifique. Tu l’as achetée à Rome ?
— Un ami de mon mari lui a offert.
— C’est de toute évidence quelqu’un qui a du goût. Tu connais son nom ? demandai-je d’une voix légère en prenant le pichet des mains d’Helena.
— Non.
— Et ton mari ne va pas être fâché que tu t’en sépares ?
— Il n’a pas eu l’air de beaucoup l’apprécier. On n’a pas ce pichet depuis longtemps, précisa-t-elle.
Deux jours, aurais-je parié. Je décidai cependant de ne pas insister avant d’avoir consulté Petronius. Tôt ou tard, la candide petite Milvia serait obligée de fournir le nom du généreux donateur. Quand mon ami verrait ce qu’elle nous avait si gentiment offert, il voudrait fouiller la maison pour voir ce qu’elle recelait d’autre. Et pas parce qu’il appréciait son bon goût en matière de verrerie.
Ce que je tenais dans les mains était un délicat pichet en verre d’un blanc translucide qu’entouraient de fines spirales bleu foncé. Il était muni d’une anse torsadée et d’un bec verseur particulièrement élégant.
— Oui, c’est vraiment magnifique, renchérit Helena. Moi je dirais que c’est syrien. Qu’en penses-tu, Marcus Didius ?
— Tu as tout à fait raison.
Il s’agissait presque à coup sûr d’un pichet acheté par ma compagne à Tyr pour mon père et volé à l’Emporium.
Normalement, j’aurais refusé qu’une étrangère offre un cadeau à Helena Justina. Cette fois-ci, je me devais de faire exception.
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