Le temps des illusions
généraux alliés de prendre la ville par surprise, en escaladant les murailles. À une heure du matin, le comte de Saxe ordonna aux grenadiers et aux dragons de monter à l’assaut d’un bastion et de se rendre maîtres d’une porte. Un détachement de 2 000 hommes est entré dans un ordre parfait. La garnison, au reste très peu nombreuse, s’est rendue et a été faite prisonnière. La discipline des troupes a été parfaitement maintenue et il n’y a pas de pertes du côté français. Les officiers ont trouvé quantité de munitions dans la ville. Les troupes prussiennes et polonaises qui ont attaqué en d’autres points ont rencontré plus de difficultés mais les pertes sont minimes. L’Électeur de Bavière a été couronné dans la cathédrale le 7 décembre.
L’autre armée française sous les ordres dumaréchal de Maillebois est en garnison dans les évêchés de Münster et d’Osnabrück. Les Espagnols ont débarqué en Italie et le roi de Sardaigne s’est emparé du Milanais et de Milan.
Ces nouvelles ont rasséréné le roi, qui n’a pas encore retrouvé son visage habituel. Il reste toujours confiné dans sa petite société dontMme de Mailly est redevenue la reine, mais unereine sans éclat.Louis XV subit son sort, paraît aux bals de la Cour, chasse à perdre haleine et s’apprête à recevoir l’ambassadeur du sultan.
Un pacha à trois queues
La Cour et la Ville raffolent des visites des représentants ottomans : c’est un spectacle d’opéra qui se déploie partout où ils passent. La réception de l’ambassadeur de Perse avait donné lieu à la dernière grande fête du règne de Louis XIV et on se souvient encore de la visite deMehemet Effendi qui rendit hommage àLouis XV enfant en 1721 3 . Aujourd’hui c’est lefils de ce diplomate qui vient en France, un homme de quarante-cinq ans fort distingué et qui parle parfaitement le français. Son titre de pacha à trois queues suscite bien des plaisanteries et aiguise la verve des chansonniers. Ce Turc arrivé à Paris à la fin du mois de décembre 1741 a tout d’abord été logé dans la maison deM. Titon, rue Saint-Antoine, avant de faire une entrée très attendue dans la capitale. Mais déjà beaucoup de seigneurs et de dames s’étaient rendus auprès de lui par simple curiosité. Le roi a envoyé cent dragons du régiment de Mailly pour monter la garde auprès de son Excellence.
Le 7 janvier 1742, l’entrée officielle eut lieu par un resplendissant soleil d’hiver. Pendant la nuit, le faubourg Saint-Antoine, avait été recouvert de fumier haché et les rues sablées afin que les chevaux ne glissent pas sur les pavés gelés. On voit rarement un aussi brillant déploiement de cavaliers en tenue de parade. Précédaient le cortège de l’ambassadeur, les troupes du guet en habit bleu galonné d’or, veste et parements écarlate, leurs montures recouvertes de housses écarlate et or ; venaient ensuite celles de la connétablie que suivaient le régiment des dragons de Mailly, le régiment de cavalerie de Beaucaire et les grenadiers à cheval. Montée sur des chevaux du roi s’avançait la suite de l’ambassadeur. Des esclaves, jambes nues, allaient à pied, chaussés de babouches. On admirait six pur-sang destinés àLouis XV, menés aussi par des esclaves. Un chariot surmonté d’une tente de somptueuse étoffe avançait solidement attelé :il contenait d’autres présents pour S.M. Deux mulets trottinaient derrière la voiture exhibant des armes richement travaillées. Entouré par lemaréchal de Noailles etM. de Verneuil, introducteur des ambassadeurs, paraissaitZaïd Effendi resplendissant dans un habit de son pays brodé de fils d’or. Parti du faubourg Saint-Antoine à onze heures, le diplomate arriva à trois heures à l’hôtel des Ambassadeurs extraordinaires, rue de Tournon, après être passé par le Pont-Neuf, le quai des Théatins, la rue de Condé et le long du palais du Luxembourg.
Le jeudi 11,Louis XV, assis sur un trône dans la galerie des Glaces, reçut cet hôte de passage en présence de la famille royale et d’une foule de courtisans installés dans des tribunes couvertes de peluche cramoisie. Selon un protocole assez compliqué, l’ambassadeur, accompagné de soixante-dix Turcs en costume de leur pays, fit ses révérences au roi et lui lut un compliment en langue mahométane que traduisit un secrétaire. On se félicita de la brièveté de la harangue : « Empereur
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