Le temps des illusions

avec leroi de Prusse garantissant les conquêtes de celui-ci en Silésie. En contrepartie,Frédéric s’engage à voter pour l’Électeur de Bavière à Francfort. EnfinBelle-Isle a promis le soutien armé de la France au Bavarois. Cela revient àengager la France dans une guerre européenne. Pendant plusieurs jours, des discussions très vives se sont poursuivies entreLouis XV,Fleury et Belle-Isle. Finalement, le roi accepte d’envoyer deux armées en Allemagne, l’une en Westphalie sous le commandement dumaréchal de Maillebois pour inquiéter et contenir l’Électeur de Hanovre, roi d’Angleterre, et l’autre aux ordres de Belle-Isle vers la Bavière. Le 17 juin, Belle-Isle, très satisfait, est reparti pour l’Allemagne qui sera le théâtre des opérations.
    La Cour et la Ville attendent avec impatience les nouvelles de la guerre qui s’annonce. Au mois d’août, Belle-Isle a rejoint l’Électeur de Bavière qui s’est emparé de Linz et a été reconnu duc d’Autriche. Il va sans doute marcher sur Vienne.Frédéric II de Prusse, entré dans Breslau capitale de la Silésie, s’est fait proclamer duc de Silésie. La France a signé une alliance avec la Suède et le maréchal de Maillebois se dirige vers le Hanovre.

    Mort d’une favorite
    Lecardinal reste serein et le roi est toujours le même. Il ne passe jamais plus de huit jours de suite à Versailles, ce qui lui cause beaucoup de tort. On raconte qu’il a fait un rêve dans lequel il aurait vu quatre chats, l’un aveugle, l’autre borgne, le troisième maigre et le quatrième bien dodu. Il a demandé àBachelier son valet de chambre la signification de cet étrange songe. Bachelier, peu familier avec ce genre de sujet, a consulté un soldat aux gardes françaises qui prétend expliquer les rêves. Celui-ci aurait dit que le chat aveugle était le roi lui-même qui ne voyait rien de ce qui se passait ; le borgne représentait le cardinal, lequel ne fait qu’entrevoir les réalités ; le maigre, le peuple et le gras, le contrôleur général… Il est vrai que la question des subsistances demeure à l’ordre du jour. À Paris, le pain est cher et le peuple toujours prêt à gronder. La misère ne diminue pas. Les visiteurs étrangers ne voient que le luxe de la capitale, les équipages splendides et l’élégance des vêtements. Les apparences sont trompeuses.
    Au mois d’août,Louis XV a renoncé au voyage de Fontainebleau,Mme de Vintimille étant grosse de huit mois. Une fièvre persistante la tient alitée à Choisy.Mme de Mailly ne quitte pas sa sœur. La duchesse de Ruffec, lamaréchale d’Estrées, Mme deSaint-Germain, leduc d’Ayen, lecomte de Meuse, lesducs de Gramont et deRichelieu leur tiennent compagnie. Le roi va voir sa maîtresse trois ou quatre fois par jour. Il a fait venir deux voitures, une litière et un vis-à-vis, qu’il a essayées lui-même pour savoir laquelle des deux conviendrait le mieux à Mme de Vintimille pour revenir à Versailles. Il a choisi le vis-à-vis où les deux sœurs ont pris place. Au château, il a installé la jeune femme dans l’appartement ducardinal de Rohan où elle accouchera. Il passe ses soirées auprès d’elle. Malgré tous les soins de son amant, la comtesse est de très mauvaise humeur. Lorsqu’il lui en demande la raison, elle répond qu’elle ne se sent pas dans son état normal. « Je sais bien, madame, le remède qu’il faudrait employer pour vous guérir, lui a-t-il déclaré ; ce serait de vous couper la tête. Cela ne vous siérait même pas mal, car vous avez le col assez long ; on vous ôterait tout votre sang et on mettrait à la place du sang d’agneau, cela ferait fort bien, car vous êtes aigre et méchante 1 . »
    Cela n’empêche pas le souverain de faire porter ses dîners chez elle et de lui témoigner une attention qu’il n’a jusqu’alors manifestée à personne. La pauvre Mailly ne quitte pas sa sœur et prend ce qu’elle peut de la part de cet amant surprenant. La Cour se tait. Est-ce pour se faire pardonner ? Le roi a offert Trianon àla reine. Il lui avait laissé le choix entre Trianon, Meudon et Marly. Marie s’est décidée pour Trianon sur les conseils ducardinal. Elle pourra en faire ce qu’elle voudra.
    Le samedi 2 septembre, Mme de Vintimille a accouché d’un garçon. Le roi a renoncé à la chasse et dîne chez elle. Il veille à tout pour qu’elle soit le mieux possible : il a fait arrêter les trois jets d’eau qui