Le temps des illusions
arrosent le jardin de l’aile neuve dont le bruit la gênait ; on a répandu du fumier dans l’escalier pour amortir les pas. Quant à l’enfant, ondoyé dès sa naissance, il a été porté dans les entresols au-dessus de l’appartement qu’occupera sa mère dès qu’elle sera rétablie. L’archevêque de Paris,Mgr de Vintimille, ainsi que lemarquis du Luc, père de M. de Vintimille, sont venus voir la nouvelle accouchée, mais leur visite n’a pas duré longtemps… Le roi passe le plus de temps possible auprès d’elle. Le 8 septembre, s’inquiétant de la voir fiévreuse, il appela en consultation les meilleurs médecins qui décidèrent de la saigner au pied. À minuit, Louis assista à l’opération qui sembla salutaire. Il resta près de la malade jusqu’à deux heures mais peu après son départ, la fièvre reprit.Mme de Vintimille demanda son confesseur. Il ne put lui donner la communion : elle était tombé dans le coma. À sept heures un quart, elle mourut.Mme de Mailly ne l’avait pas quittée
À dix heures,La Peyronie, le chirurgien du roi, est entré le premier auprès de S.M., qui lui a aussitôt demandé des nouvelles. « Mauvaises, Sire », répondit-il. Louis s’est retourné de l’autre côté et a demandé qu’on tire les rideaux de son lit. Il n’a laissé entrer chez lui nila reine nile cardinal et il a entendu la messe dans sa chambre, toujours caché par ses rideaux.
Le lendemain, un courrier est arrivé de Francfort ; le cardinal l’a reçu et l’a fait envoyer au roi parBarjac qui n’a pas pu le lui remettre. Toujours au lit, le souverain ne veut voir personne. Le surlendemain,Louis XV s’est levé et enfermé chez lacomtesse de Toulouse avec Mme de Mailly. Accablé de tristesse, il est parti pour Saint-Léger où il chasse, mais refuse de manger. Mme de Mailly, laduchesse de Gramont,M. de Meuse restent auprès de lui. Il n’est revenu que le 16 septembre à Versailles sans voirla reine et il s’est couché de bonne heure. Il recommence à travailler mais paraît toujours accablé.
Lacomtesse de Vintimille, dont on avait transporté le corps à l’hôtel de Villeroy (on ne laisse jamais de cadavre à Versailles), a été ouverte selon la coutume et les chirurgiens ont trouvé un caillot de sang à la tête. Leduc de Luynes dit que sa dépouille une fois recousue fut longtemps abandonnée, nue, sans personne pour la recouvrir et la veiller 2 . Le lendemain, on l’inhuma dans la chapelle Saint-Louis à l’église des Récollets oùMme de Mailly se rend tous les jours.
Le roi, le visage las, a repris ses activités. Il affiche un air d’ennui à faire peur et s’énerve facilement. Il chasse accompagné par ses familiers et ne quitte guère Mme de Mailly, dont on remarque le maintien sérieux. Il dîne ou soupe dans le nouvel appartement de cette maîtresse, servi par deux de ses domestiques. La conversation manque d’entrain. Le roi laisse tomber quelques réflexions désabusées. Il va bientôt être grand-père et se croit déjà vieux. Il est retourné avec Mme de Mailly à Choisy où ilsavaient passé beaucoup de temps avec Mme de Vintimille. Le roi s’occupe de l’avancement des travaux des nouveaux bâtiments et de l’aménagement des jardins. Il n’est jamais autant à son aise que dans cette résidence. Il veut que ses invités soient chez lui aussi bien que chez un particulier. Si S.M. retrouvait sa bonne santé morale, Choisy serait un véritable paradis. Le 29 novembre, après avoir chassé le daim au bois de Boulogne, il est allé faubourg du Roule voir la statue équestre que la ville de Bordeaux a commandée ausculpteur Lemoyne et dont il se dit très satisfait.
Une heureuse nouvelle a tiré la Cour de la morne torpeur où l’avait plongé la mort de Mme de Vintimille : Prague est tombée aux mains des Français le 26 novembre 1741. Alors que les troupes françaises avaient rejoint celles de l’Électeur de Bavière et s’approchaient de Vienne, elles se sont soudain repliées vers la Bohême afin de prendre sa capitale pour faire couronner roi de Bohême l’Électeur de Bavière. L’affaire a été menée rondement par lecomte de Saxe, lieutenant général des troupes françaises, qui a reçu en renfort 20 000 Prussiens et 12 000 Polonais. Le siège d’une si grande ville risquait d’être long d’autant que la saison est fort avancée et l’hiver très rude. Il fut décidé secrètement entre les
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