Le temps des illusions
des Français, dit-il, je ne viens pas ici de la part du grand Sultan mon maître pour te demander du secours contre ses ennemis. Juge de ses vertus, il m’envoie pour rendre hommage aux tiennes. » Le roi répondit et l’invita à dîner.
Les présents du sultan font l’admiration générale. La tente a été montée deux jours de suite dans la cour de Marbre. À l’intérieur se trouvent un sofa et des coussins, mais il fait malheureusement trop froid pour s’y installer. On a découvert que les mâts sont garnis de nacre et de perles. Les armes, très ornées, ne pourront pas servir. Les chevaux sont splendides et l’un des équipages est constellé de diamants, de rubis et d’émeraudes !
L’ambassadeur est revenu à Paris où il se plaît beaucoup. Il a été en cérémonie à l’Opéra et à la Comédie-Française dans la loge du roi ; il reçoit d’aimables compagnies, fréquente les autres diplomates. Lorsqu’il sort en carrosse, il y a toujours quantité de badauds pour l’acclamer et les dames fredonnent en cachette certains couplets qui font fureur tels que celui-ci :
Le héros le plus vertueux
Est un homme ordinaire ;
Mais une Excellence à trois queues
Est un Dieu sur la terre !
À moins qu’on ne préfère celui-là :
À mon mari je suis fidèle,
Mais je tremble pour mon honneur ;
J’ai jour et nuit dans la cervelle
Les trois queues de l’ambassadeur !
La visite deZaïd Effendi a créé une agréable diversion pour les Parisiens et pour la Cour, car le vent a tourné pour les armées françaises dont les revers se succèdent. Les troupes deMarie-Thérèse ont repris Linz et pénétré dans Munich, capitale de la Bavière, au lendemain du couronnement deCharles VII ; plus grave encore,Frédéric de Prusse a signé un traité de paix séparé avec la reine de Hongrie, qui lui abandonne la Silésie 4 . Frédéric se déclare neutre désormais. Quelques mois plus tard, la Saxe a signé la paix, elle aussi. L’équilibre des forces est renversé. À Paris, la nouvelle a causé une stupeur indignée : les Français se croient jetés en pâture aux convoitises autrichiennes.
Leduc de Broglie, récemment promu maréchal, occupe le camp près de Prague et Belle-Isle, nouveau maréchal lui aussi, détient le commandement intérieur de la ville menacée maintenant par les Autrichiens. L’un et l’autre se méfient des partisans de Marie-Thérèse, peut-être plus nombreux qu’on ne l’imagine. Ils ont fait désarmer les habitants et enlevé toutes les richesses des nobles et des particuliers qui ont été déposées dans une église avec des étiquettes portant les noms des propriétaires. Ils ont annoncé qu’au moindre bruit de rébellion ou de conspiration, ils feraient tout brûler. L’armée dumaréchal de Maillebois reste dans ses cantonnements pour contenir les troupes de l’Électeur de Hanovre et les Hollandais alliés des Anglais.
Belle-Isle,dans une entrevue secrète avec lemaréchal Koeniseck, a proposé l’évacuation de la Bohême moyennant l’évacuation de la Bavière comme prélude à une paix générale, maisMarie-Thérèse a refusé ce marchandage : elle exigeait une capitulation sans condition. Découragé,Fleury écrivit àKoeniseck une lettre dans laquelle il disait regretter d’avoir soutenu le prétendant bavarois et aussi d’avoir écouté les pernicieux conseils deBelle-Isle. La reine de Hongrie fit aussitôt publier la lettre dans les gazettes hollandaises pour la plus grande honte de la France. De telles révélations ont semé la panique. On redoute que Marie-Thérèse ne réclame la Bavière et la restitution de l’Alsace et de la Lorraine.
Le roi ne manifeste cependant aucune inquiétude et le cardinal s’affaiblit de plus en plus. Il a fait entrer dans le ministèreMgr de Tencin, aujourd’hui cardinal-archevêque de Lyon, en tant que ministre d’État.
Heurs et malheurs de M. de Voltaire
SeulVoltaire se réjouit de la défection duroi de Prusse. Sa lettre de félicitations à Frédéric II circule dans Paris et fait scandale. « Vous n’êtes donc plus notre allié, Sire ? Mais vous serez celui du genre humain », lui a-t-il écrit. Les réactions sont vives. Lemaréchal de Brancas espère une sanction et lamaréchale de Luxembourg lui a fermé sa porte. Comment une lettre adressée au roi de Prusse a-t-elle pu être divulguée ? Ne serait-ce pas un faux diffusé par les ennemis de Voltaire afin de le perdre ?
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