Le temps des illusions
indisposition du roi qu’il fallut saigner deux fois. Marie estima nécessaire de venir prendre des nouvelles de son époux, qui la reçut aimablement. Il ne réserva pas le même traitement au roiStanislas qui passait quelques jours chez leduc de Luynes afin de voir sa fille et ses petits-enfants. L’ex-roi de Pologne ne s’attarda guère à Choisy.
Comme de coutume on s’installa pour l’automne à Fontainebleau où le roi prit de nouvelles habitudes qui firent réfléchir la Cour. Louis passe désormais le plus clair de son temps avecsa maîtresse. Après son lever, il descend chez elle et y reste jusqu’à la messe, revient déjeuner avec elle et ne la quitte que vers cinq heures pour se mettre à travailler. Lorsque le couple royal soupe en grand couvert, la marquise donne un petit souper auquel elle convie quelques amis dans son appartement. Les soirs de représentation théâtrale on la voit avec le souverain dans une loge grillée. Jamais le roi n’a manifesté un tel intérêt à l’une de ses maîtresses. Elle est différente de toutes celles qu’il a connues. Elle vient d’un milieu qu’il ignore. Elle a fréquenté des Français – écrivains, artistes, savants – appartenant à des sociétés où l’on ne pense pas comme à la Cour. Ses expériences, somme toute assez banales, passent pour extraordinaires auprès de ce prince blasé qui redoute la moindre nouveauté. Elle le distrait, le tient en haleine avec les histoires qu’elle lui raconte etLouis XV oublie ses humeurs noires.La reine n’a jamais paru aussi effacée bien que la nouvelle favorite manifeste à son égard le plus grand respect. « Autant celle-là qu’une autre », a dit Marie. Résignée à mener la vie retirée d’une épouse délaissée au sein du plus beau château du monde, elle préfère encore l’intelligente modestie de cette bourgeoise à l’orgueil méprisant des sœurs Nesle, qui se targuaient de leur antique noblesse devant une princesse polonaise indigne à leurs yeux d’être l’épouse du roi de France.
1 - Cf. supra , chap. xiv , p. 302-303.
2 - Louise Élisabeth de Bourbon-Condé, fille de Louis, prince de Condé et de Mlle de Nantes, fille légitimée de Louis XIV ; elle est veuve de Louis Armand III, prince de Conti.
Chapitre XVI
Guerre et paix
L’oracle de la Cour
En quelques semaines lafavorite s’est imposée à la Cour. Que cela plaise ou déplaise, c’est elle la véritablereine. Elle veille à ce que l’on observe à son égard une étiquette dictée par sa seule intuition des devoirs qu’il convient de rendre à la maîtresse du souverain. À onze heures, princes, gentilshommes, écrivains et artistes s’empressent à sa toilette, l’entretiennent de tout et lui présentent suppliques et requêtes. Les nobles sollicitent maintenant l’honneur de lui être présentés. À la surprise générale, ses visiteurs restent debout alors qu’elle est assise dans un fauteuil. Elle ne se lève que pour les princes du sang, les cardinaux ou pour une personnalité exceptionnelle. Elle a pris l’habitude d’inviter le roi et quelques-uns de ses amis dans son appartement. Lorsqu’elle soupe dans les petits cabinets, le souverain la laisse agir en maîtresse de maison. Sa cour nombreuse éclipse celle de la souveraine avec laquelle la marquise se montre toujours très respectueuse. Elle agace parfois Marie par son zèle trop appuyé, mais jamais la reine ne dit un mot contre la favorite de son époux. « Allez ! », lui dit-elle avec un sourire indulgent lorsque la jeune femme ploie dans une profonde révérence pour lui demander la permission de se retirer, ce qui signifie rejoindre le roi.
Une fois seulement on redouta le pire. Mme de Pompadour avait pris l’habitude d’envoyer chaque jour des fleurs à lareine. Un matin de ce printemps 1746, elle préféra les apporter elle-même. Irritée par des prévenances trop ostensibles et une familiarité qui frisaient le mauvais goût, la souveraine lui demanda de chanter l’air de son choix puisqu’on disait qu’elle avait une jolie voix. Troublée par cet accueil auquel elle ne s’attendait pas, Mme dePompadour se reprit et entonna l’air de la magicienne Armide 1 :
Enfin il est en ma puissance,
Ce fatal ennemi, ce superbe vainqueur…
À ce jeune héros tout cède sur la terre.
Qui croirait qu’il fût né seulement pour la guerre ?
Il semble être fait pour l’amour.
Personne n’osait plus regarder ni
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