Le temps des illusions
lareine ni la marquise, laquelle chanta son air jusqu’au bout sans la moindre fausse note. Après s’être inclinée devant Marie, elle déposa ses fleurs et quitta le salon. Elle venait de remporter une victoire non sur la pauvre reine, mais sur la Cour devant laquelle elle avait osé affirmer sa puissance.
Mme de Pompadour n’entend pas réduire son rôle à celui d’ordonnatrice des plaisirs du roi. Elle a compris que ce monarque angoissé a besoin d’un appui qui lui donne la force de régner. Elle sera cet appui et elle participera ainsi à la magie du pouvoir. Très impressionnée par le destin de Mme deMaintenon, qui a su garder la confiance et la fidélité du plus puissant des monarques, elle compte marcher sur ses traces avec les armes qui lui sont propres.Louis XIV appelait « Votre Solidité » sa vieille dévote. Pour l’heureLouis XV appellerait plutôt « Mon Plaisir » cette maîtresse qui l’entoure d’une chaude tendresse et qui a l’art de badiner avec lui sur un ton inconnu dans ce pays-ci, tour à tour superbe, impérieuse, calme, friponne, lutine, sensée, curieuse. Il est désormais persuadé qu’il ne trouvera jamais une personne avec laquelle il puisse vivre des jours aussi heureux. Cependant la maîtresse comblée d’aujourd’hui voit bien au-delà du plaisir et mêmede l’amour. Partageant déjà la vie privée et la vie publique de son amant, elle aspire à devenir l’indispensable conseillère occulte.
Cette fulgurante ascension a sidéré les courtisans autant qu’elle les a divisés. Deux partis se sont formés, celui de la maîtresse qui se réclame de l’esprit philosophique et celui du dauphin. Le premier compte beaucoup d’opportunistes soucieux d’obtenir le plus d’avantages possibles et qui voient dans Mme dePompadour une personne capable de faire adopter au roi des idées réformatrices. D’inspiration jésuitique, le second parti regroupe une coalition hétéroclite de dévots et de libres-penseurs qui se posent en farouches défenseurs de la monarchie absolue et s’insurgent contre l’intrusion à la Cour et dans la couche du roi (profanation suprême) d’une femme issue d’un milieu inavouable, susceptible de faire commettre les pires erreurs politiques et religieuses à un monarque esclave de son plaisir.
Derrière les masques imposés par l’hypocrisie de la courtisanerie, on peut croire que la favorite a plus d’ennemis que d’amis. Les amis ne le resteront que tant que le roi l’aimera. Il y a parmi eux le duc d’Ayen, le duc de LaVallière, le marquis deGontaut, le prince deSoubise, M M. deCroissy et deCoigny qui sont tous des familiers de S.M. Il y a aussi des dames, la duchesse deBrancas, la comtesse d’Egmont, Mme duRoure et la comtesse d’Estrades. En cas de crise, l’autre parti triomphera sûrement. Il compte dans ses rangs le prince deConti, cousin du roi, furieux que sa mère ait dû s’abaisser à présenter une intrigante à la Cour ; le duc deRichelieu, qui conserve à l’égard de Mme de Pompadour tous les préjugés d’un grand seigneur pour une grisette parvenue. Mais le pire ennemi de la favorite est assurément le comte de Maurepas dont le département ministériel embrasse la Marine, la Maison du roi et la Ville de Paris. Maurepas, qui amuse le roi par ses épigrammes et ses médisances, a toujours détesté les maîtresses du roi tant il est jaloux de leur faveur. Sa maison est le rendez-vous des esprits les plus brillants. On rapporte au roi tout ce qu’on entend chez lui. Le ministre tire à boulets rouges contre Mme dePompadour, contrefait son langage bourgeois et l’accable de ce ridicule qu’il manie avec tant de grâce.
Une guerre sans fin
L’attention que portent les courtisans aux amours royales ne les empêche pas pour une fois de suivre avec attention l’évolution des affaires européennes. Les plus sages espéraient une paix prochaine que les événements du printemps et de l’été rendaient possible. Après que la France eut remporté plusieurs victoires en Flandre, l’Angleterre se voyait affaiblie par les entreprises de Charles ÉdouardStuart toujours désireux de recouvrer le trône de ses ancêtres. Il avait débarqué sur les côtes d’Écosse le 23 août 1745 et vaincu une armée anglaise près d’Édimbourg. Les Écossais s’étaient soulevés en sa faveur et le duc deCumberland avait été obligé de rapatrier des troupes de Flandre. Charles Édouard marchait vers
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