Le temps des illusions
sait ce qui s’est passé. Loin de sa compagne, l’écrivain a joui d’une liberté dont il était depuis longtemps privé. Il a constaté qu’il était capable d’exister sans elle. Émilie se montre trop exigeante, trop impérieuse… Des scènes éclatent parfois entre eux. Lors d’un voyage à Paris, Voltaire s’est affiché avecMlle Gaussin, une irrésistible vedette de la scène ; il a même couché avec elle dans la maison qu’il partage avec Mme du Chatêlet. Meurtrie et humiliée, elle a laissé éclater sa jalousie. Ils continuent cependant de vivre ensemble, unis par leurs passions intellectuelles. L’amitié a succédé à l’amour. « Le cœur se désaccoutume d’aimer », dit tristement Émilie, qui veut assurer l’avenir de son grand homme. Il ne s’agit pas de son avenir matériel (Voltaire est très riche et c’est elle qui sollicite souvent sa générosité). Émilie revendique pour lui des honneurs mérités : son élection à l’Académie française et une charge officielle. Aussi a-t-elle fait agir toutes ses relations, à commencer par son vieil ami, leduc de Richelieu. Devenu premier gentilhomme de la Cour,toujours très proche du roi, il a désormais la haute main sur les spectacles de Versailles. Elle cultive également l’amitié duduc et de laduchesse de La Vallière qui ont accueilli le couple pendant plusieurs mois dans leur château de Champs en 1744.
Ses bons amis ont obtenu queVoltaire compose La Princesse de Navarre , pensum fraîchement accueilli, on l’a vu, mais en récompense duquel le 3 avril, il a été nommé gentilhomme ordinaire de la chambre et historiographe de S.M : « La cour ne semblait guère faite pour moi, mais les grâces que le roi m’a faites m’y arrêtent et j’y suis à présent plus par reconnaissance que par intérêt », vient-il de déclarer à son jeune ami lemarquis de Vauvenargues.
Aujourd’hui Voltaire fait une cour pleine de délicatesse àMme d’Étiolles. La jeune femme s’est abandonnée aux confidences : elle avait toujours eu le pressentiment qu’elle serait aimée du roi et lorsqu’elle fut dans ses bras, elle crut à sa destinée. Voltaire la consulte, l’encense et lui vante les vertus de son amant. Mme d’Étiolles l’admire, adore sa compagnie. Elle le soutiendra auprès du roi. Pour l’heure, la jeune femme se prépare à une existence bien différente de celle qu’elle a connue jusqu’alors. Officiellement séparée de son époux, titrée marquise de Pompadour, elle sera présentée à la Cour dès le retour du roi et sans doute maîtresse « déclarée » comme l’on dit dans ce pays-ci. Afin qu’elle soit prête à assumer un tel rôle dans un monde qui n’est pas le sien,Louis XV a chargé l’abbé de Bernis et lemarquis de Gontaut de la familiariser avec toutes les subtilités auliques. Elle les écoute, les interroge et ils la quittent émerveillés par son intelligence, sa grâce et sa subtilité. Mme d’Étiolles s’entend parfaitement avec l’abbé de Bernis, cadet d’une noble famille, entré dans les ordres par nécessité sans avoir la vocation. Cet aimable ecclésiastique, qu’elle appelle « mon pigeon pattu », eu égard à son aimable embonpoint, a promis de lui parler avec franchise, de la mettre en garde contre les pièges qu’on lui tendrait, mais aussi de la critiquer si elle commettait des impairs. Coqueluche des salons, élu membre de l’Académie française à vingt-neuf ans, l’abbé taquine gentiment la Muse et fait assaut de bel esprit avecVoltaire qui l’a surnommé « Babet la bouquetière ». Il joue si bien son rôle de mentor auprès dela favorite qu’ils se sont juré une amitié éternelle.
La marquise de Pompadour
L’élévation deMme d’Étiolles au rang de marquise de Pompadour a consterné la Cour. Il faut s’y résoudre, le roi prend une bourgeoise pour maîtresse. Ce n’était pas un caprice comme l’espéraient les courtisans. Après le départ de Louis XV pour l’armée, les bruits les plus fous avaient couru. Les uns prétendaient que Mme d’Étiolles répudiée s’était réfugiée au couvent. D’autres racontaient qu’elle cachait une grossesse dans un lieu retiré et les langues allaient bon train lorsqu’on apprit que Louis XV avait envoyé à sa maîtresse le brevet de marquise de Pompadour et acheté pour elle la seigneurie de ce nom dans le Limousin. Les lettres d’anoblissement devaient être enregistrées par le
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