Le temps des illusions
d’un chirurgien à côté de sa chambre, ce qui agace son amant.
Crescendo
Louis XV ne comprend pas ce qui lui arrive. Comment ce peuple qui l’a porté aux nues depuis son enfance, qui l’a appelé « le bien-aimé », peut-il aujourd’hui se mettre à le haïr ? Le plus violent des pamphlets dirigés contre sa personne invoque aujourd’hui les mânes deRavaillac pour mettre fin à ses jours. Le roi est persuadé qu’il va périr assassiné commeHenri IV. Les remords l’accablent. Il s’est longuement entretenu avec le pèrePérusseau, sans pourtant se confesser. Malgré sa crainte de l’enfer, il n’a pas l’intention de renoncer au genre d’existence qu’il mène depuis des années.
Le souverain a donné des ordres pour retrouver les auteurs des libelles. La police a procédé à des arrestations mais les véritables coupables ne sont pas sous les verrous. « Je connais Paris autant qu’on puisse le connaître, mais je ne connais point Versailles », déclara sèchement le lieutenant de police,Berryer, à quelques courtisans qui lui demandaient hypocritement s’il allait enfin mettre la main sur tous ces abominables libellistes. Mme dePompadour exige des châtiments exemplaires et a juré de perdreMaurepas, qui l’empêche de vivre. Épuisée par cette lutte de tous les instants, elle a fait une fausse couche à la fin du mois de mars. (C’est, paraît-il, la troisième depuis qu’elle est la maîtresse deLouis XV.) Lorsqu’elle fut remise, elle se rendit chez le ministre honni. « On ne dira pas que j’envoie chercher les ministres, je viens les chercher », lui dit-elle avec hauteur avant d’ajouter : « Quand saurez-vous donc les auteurs des chansons ? – Quand je le saurai, Madame, je le dirai au roi. – Vous faites, Monsieur, peu de cas des maîtresses du roi. – Je les ai toujours respectées, de quelque espèce qu’elles soient », répondit fielleusement Maurepas. La fureur de la marquise était à son comble. Elle raconta au roi cette fâcheuse entrevue dont le ministre eut la fatuité de se vanter. Il déclara que la visite de la favorite « lui porterait malheur ». « Je me souviens, railla-t-il, que Mme deMailly vint aussi me voir deux jours avant que d’être renvoyée pour Mme deChâteauroux ; l’on sait que je l’ai empoisonnée ; je leur porte malheur à toutes. »
Le roi ne se décide pas à disgracier ce fidèle serviteur qui, lui aussi, a l’art de le distraire. À la grande surprise de la marquise, le duc deRichelieu, qui pourtant la déteste mais qui est jaloux de Maurepas, lui a remis un rapport accablant sur la gestion de ce ministre dans le département de la Marine. Mme de Pompadour se fit une joie de donner le dossier àLouis XV. Le roi ne dit mot mais invita Maurepas à souper avec sa maîtresse et une autre dame. Tout se passa le mieux du monde. Au cours du repas, la favorite rompit un bouquet de jacinthes blanches dont les pétales se répandirent autour d’elle. Incident sans importance. Mais quelques jours plus tard courait un quatrain outrageant faisant allusion à une disgrâce intime dont souffre Mme dePompadour :
Par vos façons nobles et franches,
Iris, vous enchantez nos cœurs ;
Sur nos pas vous semez des fleurs,
Mais ce sont des fleurs blanches.
SeulMaurepas pouvait avoir composé ces vers humiliants. Le soir du 25 avril, alors qu’elle était seule avec son amant dans son petit château de La Celle, la marquise obtint ce qu’elle voulait. En pleine nuit, le roi pria le comte d’Argenson de porter une lettre àMaurepas lui signifiant son renvoi : il devait sur l’heure partir pour Bourges et ne plus reparaître à la Cour.Louis XV lui interdit de résider dans son château de Pontchartrain, trop proche de Versailles.
Ce renvoi fit l’effet d’une bombe. Personne ne s’y attendait, le principal intéressé moins que tout autre. La veille, au lever de S.M., il avait étourdi le souverain par ses bons mots. Sa faveur semblait intacte. Dès qu’il reçut sa lettre de cachet, Maurepas alla secrètement dire adieu à lareine et audauphin, atterrés par cet exil. Le dauphin et sonépouse tiennent les propos les plus désobligeants à l’égard de la marquise. Le renvoi de Maurepas est considéré comme l’œuvre de la favorite dont le roi semble toujours aussi épris. Il passe le plus clair de son temps avec elle, la consultant pratiquement sur tout. Il vient de nommerRouillé, l’un deses
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