Le temps des illusions

protégés, à la Marine, le comte deSaint-Florentin à la Maison du roi et Paris au comte d’Argenson. Ce dernier n’est pas un ami de la marquise, mais il se sent obligé de soutenir plus activement le lieutenant de police (tout dévoué à Mme de Pompadour) que ne l’avait fait Maurepas. C’est ainsi qu’on a arrêté M. dePont-de-Veyle, l’auteur supposé des poissonnades, ainsi que M. deBazencourt, maître d’hôtel du roi et séide de Maurepas, un certain Caylus et quelques autres, soupçonnés d’avoir été aux ordres de l’ancien ministre.
    Ces arrestations ne mettent pas fin aux libelles.
    Autrefois, de Versailles
    Nous venait le bon goût.
    Aujourd’hui, la canaille
    Règne et tient le haut bout.
    Si la cour se ravale
    De quoi s’étonne-t-on ?
    N’est-ce pas de la halle
    Que nous vient le poisson ?
    De son exil,Maurepas paie-t-il quelques rimailleurs ? Après une rapide enquête, on a embastillé le chevalier deRességuier. Peu de temps après, la marquise reçut un paquet qui lui parut suspect. Elle le fit ouvrir par le docteurQuesnay qui veille auprès d’elle. Il y découvrit des substances inoffensives. On ne tarda pas à connaître le fin mot de l’histoire. Il s’agissait d’un attentat simulé, monté par un naïf garçon chirurgien nomméLatude qui espérait faire fortune en le dénonçant. On l’a conduit à la Bastille. La favorite est devenue impitoyable contre ses ennemis. Elle redoute de mourir assassinée, aussi a-t-elle acheté un caveau de sépulture aux Capucines de la place Vendôme. Elle y a fait transférer les restes de sa mère. Lorsque le roi lui a demandé la raison de cette acquisition, elle lui a répondu que c’était pour sa mère et qu’elle s’y ferait enterrer toute vivante si jamais il la quittait.
    La Cour est bien obligée de s’incliner momentanément devant Mme de Pompadour, dont le pouvoir se maintient. Cependant l’opinion ne se calme pas. On dénonce les sommes folles engagées pour lui édifier des demeures vouées à ses plaisirs : les travaux d’embellissement se poursuivent à Crécy ; on lui construit depuis1748 un château à Bellevue au-dessus de la Seine ; le 10 mars de la même année,Louis XV lui a accordé l’usufruit d’un terrain situé le long du parc de Versailles, près de la grille du Dragon, où l’architecteLassurance a édifié un charmant pavillon. À Fontainebleau, conçu également par Lassurance, un autre ermitage est sorti de terre, afin qu’elle puisse échapper aux pesanteurs de la Cour et recevoir tranquillement le roi dans le climat d’intimité qu’elle sait si bien créer.
    Au mois de septembre,Louis XV a décidé d’emmener sa maîtresse avec lui pour un voyage officiel au Havre. Il tenait à effectuer une tournée de propagande en Normandie et manifester son intérêt pour la marine qui a grand besoin d’être développée et modernisée après les combats livrés contre la flotte britannique au cours de la dernière guerre. Pendant tout le voyage, Mme de Pompadour a été traitée en reine. Elle est revenue persuadée que le roi était toujours le bien-aimé de la nation.
    Alors que se déchaînait cette vague de pamphlets, le roi et le contrôleur général des Finances Machault d’Arnouville élaboraient un édit établissant l’impôt du « vingtième » remplaçant celui du dixième, par conséquent plus léger mais touchant sans distinction les trois ordres du royaume et tous les revenus, qu’ils soient fonciers, mobiliers, commerciaux ou provenant des charges de judicature. L’édit promulgué au mois de mai 1749 pouvait laisser croire qu’on s’acheminait à terme vers l’égalité fiscale. Ce fut un tollé chez les privilégiés. Quant aux bourgeois, ils ne virent là qu’une nouvelle taxation. Les magistrats refusèrent l’enregistrement etLouis XV dut tenir un lit de justice pour les y contraindre. Le clergé ne manquera sûrement pas de protester lors de son assemblée qui se tiendra l’année prochaine 1 .

    « L’univers a perdu la sublime Émilie »
    Le 12 octobre,Voltaire est revenu seul à Paris. Désespéré.Émilie est morte à Lunéville le 10 septembre dernier. La nuit, il erre dans la maison de la rue Traversière qu’il occupait avec elle, il l’appelle jusqu’à ce que Longchamp, son secrétaire, se lève etl’invite à se recoucher. Sa nièce et quelques amis essaient de lui redonner goût à la vie. Pourtant, les dernières années passées