Le temps des illusions
« les restitutions qu’il faisait et le peu d’avantages qu’il se procurait par cette paix feraient suffisamment connaître que la pitié pour ses peuples et la religion l’avaient bien plus conduit en cette occasion que l’esprit d’agrandissement » ? Mais alors pourquoi avoir si longtemps poursuivi la guerre ? Quant à cette paix, elle ne règle pas les conflits commerciaux entre l’Angleterre et l’Espagne, ni les rivalités coloniales franco-anglaises. EnfinFerdinand VI, le nouveau souverain espagnol, est mécontent de la politique menée par la France, laquelle n’a pas insisté pour que les Anglais lui rendent Gibraltar et Minorque.
Très contrarié de devoir chasserCharles Édouard du royaume, Louis XVa envoyé auprès de lui le duc deGesvres, gouverneur de Paris, puis le comte deMaurepas pour le prier courtoisement de quitter Paris et la France. Mais le prétendant, qui adore la capitale, où il mène joyeuse vie, n’a aucune envie de se plier à la demande du souverain. Sa popularité a encore grandi depuis la signature du traité. Son équipée en Angleterre n’a-t-elle pas causé une heureuse diversion pour la France lorsque le duc deCumberland a été contraint de quitter les Pays-Bas pour soutenir le trône occupé par la dynastie de Hanovre ? Les Français et surtout les Parisiens regrettent qu’il n’ait pas pu prendre le pouvoir à Londres. Sa fuite dramatique à travers l’Angleterre et l’Écosse après la défaite de Culloden, son périlleux retour en France ont enflammé les imaginations et ce prince passe (peut-être à tort) pour un héros chevaleresque. Fort de cette réputation flatteuse, il n’a rien changé à son existence de sybarite, mais son obstination a tout l’air d’une rébellion contre l’autorité royale. Il a même eu l’audace de publier une protestation solennelle contre la reconnaissance deGeorge II comme roi de Grande-Bretagne. Dans les salons parisiens, prendre le parti du prince devient une façon d’affirmer son patriotisme contre l’Angleterre. Le roi a consulté ses ministres : le cardinal deTencin et le maréchal deNoailles sont enclins à la douceur, tandis queMaurepas etPuysieulx souhaitent des mesures radicales. Charles Édouard multipliant les provocations, le roi a décidé de recourir à la manière forte.
Le 10 décembre 1748, alors que le prétendant et quelques seigneurs de sa cour descendaient de son carrosse dans le cul-de-sac de l’Opéra, le comte deVaudreuil, colonel des gardes, lui annonça qu’il allait se saisir de sa personne. Aussitôt des sergents en habits bourgeois l’attrapèrent par les bras et les jambes et l’attachèrent avec des cordons de soie avant de le jeter dans une voiture qui le conduisit au château de Vincennes. On prit soin de lui enleverson épée et ses pistolets, en lui disant que c’était pour éviter qu’il ne se fît violence. Ses compagnons furent aussitôt conduits à la Bastille. L’hôtel du prince, faubourg de la Madeleine-Saint-Honoré, a été fouillé en présence du lieutenant général de police qui a apposé des scellés après la perquisition. On croyait y trouver beaucoup d’armes, mais il n’y avait qu’une trentaine de fusils.
La nouvelle de l’enlèvement suscita une vague d’indignation sans précédent. Le 16 décembre,Charles Édouard quitta Vincennes sous bonne escorte et prit la route d’Avignon où il attendra les ordres du pape qui devrait l’accueillir à Rome. Alors qu’il était encore à Vincennes, ces vers inquiétants circulaient :
Peuple jadis si fier, aujourd’hui si servile,
Des princes malheureux vous n’êtes plus l’asile…
Et toi que tes flatteurs ont paré d’un vain titre
De l’Europe en ce jour te diras-tu l’arbitre
Lorsque dans tes États tu ne peux conserver
Un héros que le sort n’est pas las d’éprouver.
Louis XV a pâli en lisant ces lignes. D’après ce venimeux couplet, il est indigne d’être le « bien-aimé » des Français, « vain titre » décerné par quelques flatteurs. C’est la première fois que le roi est directement attaqué. Et comme les critiques fusent de toutes parts, le lieutenant de police a interdit de parler du prince Édouard dans les cafés de Paris, ces conversations dégénérant toujours en mauvais propos contre S.M.
Les poissonnades
La paix d’Aix-la-Chapelle mécontente tout le monde et on ne manque pas d’attribuer les errances de la politique française à la
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