Le temps des illusions
grandes affaires, elle est d’un secret impénétrable. »Louis XV lui confie immédiatement ce qu’on lui a déclaré de plus important. Il arrive même qu’elle travaille avec lui et l’un de ses secrétaires d’État. À mesure que s’éteint le désir du roi, l’influence politique de la reine sans couronne ne cesse de grandir. Elle a décidé de devenir « l’amie nécessaire », sa mauvaise santé rendant difficiles ses relations intimes avec son amant. Elle a quitté son petit nid d’amour pour un appartement princier au rez-de-chaussée du château, relié par un escalier intérieur à celui du monarque, et s’est arrangé avec ses valets de chambre pour qu’ils conduisent auprès de lui de jeunes beautés vénales qui ne seront jamais présentées à la Cour.
Mme de Pompadour avoue à ses familiers que sa vie est « terrible ». Elle tremble queLouis XV ne s’attache trop àMorphise, une gamine de quinze ans d’une beauté à faire damner le plus froid des hommes et qui est déjà enceinte de ses œuvres. Il lui faut sans cesse inventer le bon plaisir du souverain, combattre lesintrigues des courtisans, déjouer les pièges de la jeune famille royale liguée contre « Maman-putain ». L’année dernière, le roi a passé plus de temps que de coutume avec les siens. Il a beaucoup apprécié la présence de la princesseÉlisabeth venue de Madrid avec sa filleIsabelle. Leur séjour de plusieurs mois à Versailles a créé autour de leurs parents un climat d’intimité familiale resserré encore par l’arrivée de Madame Victoire, laquelle a quitté l’abbaye de Fontevrault. Le dauphin, la dauphine et Mesdames, soumis à leurs confesseurs jésuites, voudraient que leur père répudie sa favorite et revienne à Dieu.
Louis XV est resté éloigné des sacrements depuis les fameuses scènes de Metz en 1744. Il préfère ne pas confesser des fautes dont il ne veut ni ne peut se repentir. Un simulacre de contrition lui semblerait pire que le péché, mais des remords l’assaillent souvent. Ses enfants se prennent à espérer du jubilé accordé par grâce spéciale du pape pour remercier Dieu d’avoir rendu la santé à S.M. Benoît XIV veut appeler la faveur divine sur la seconde moitié du siècle. Il a promis une indulgence plénière à tous ceux qui se soumettraient à certains exercices de piété. C’est l’occasion pour les grands pécheurs de faire acte de repentance. Le saint-père a prié l’archevêque de Paris,Mgr de Beaumont, de mettre fin aux scandaleuses amours royales. Le roi s’est entretenu avec le prélat, mais on ne sait rien de ce qu’ils se sont dit. Cependant, le clan dévot est persuadé que, touché par la grâce, le souverain enverra sa maîtresse faire son jubilé dans un couvent.
Pris d’une immense ferveur depuis le début du carême, le roi assiste à tous les offices religieux, il a même décommandé des chasses pour écouter les sermons dupère Griffet qui prêche devant la Cour. Sans la moindre gêne, ce jésuite a commencé ses prédications sur le thème de la femme adultère. Il a tonné contre les amours de David et de Bethsabée.Louis XV l’écoute sans mot dire.
Tout Paris, toute la France vivent au rythme du jubilé. Les cloches sonnent à la volée, des processions parcourent les rues, les paroisses ne désemplissent pas, des prières montent de toutes les maisons, les fidèles s’agenouillent partout où ils peuvent, les ateliers et les boutiques retentissent de cantiques. Les prêtres annoncent que la colère de Dieu sera terrible si on ne renonce pas au péché. La France tremble et parfois le roi craint d’êtredamné. Le 1 er avril 1751, la mort deMme de Mailly, sa première maîtresse, l’a accablé. Depuis qu’elle a quitté Versailles, cette dame a mené une vie édifiante pour réparer les désordres de son existence passée. Apprenant la nouvelle, le souverain a sombré dans un état de mélancolie dontMme de Pompadour est encore parvenue à le tirer. Le monarque ne peut se passer d’elle et veut la garder auprès de lui. Quel mal y a-t-il puisqu’il a renoncé à tout lien charnel avec elle ? Aussi veut-il recevoir les sacrements. Mais lepère Griffet et lepère Pérusseau s’y opposent. Seul l’éloignement de la marquise réparera le scandale, prouvera la bonne volonté du pécheur, qui pourra recevoir l’absolution et la communion. Le roi a consulté toutes les autorités religieuses. À chaque fois, il a
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