Le temps des illusions
temporelles. Il prétend contribuer aux dépenses publiques par pure générosité lorsqu’il vote à l’occasion de son assemblée quinquennale « le don gratuit », au demeurant assez faible en proportion de l’immensité de ses biens. Lors de leur assemblée de mai 1750, les prélats outragés avaient hautement protesté contre cet impôt et rappelé au roi que leurs contributions sont toujours volontaires. L’idée de procéder à un inventaire des biens de l’Église leur semblait un crime envers Dieu lui-même. Ce fut un tollé. L’assemblée adressa des remontrances au monarque, qui procéda à sa dissolution.
Deux partis se formèrent aussitôt à la Cour : celui de Machault, soutenu parMme de Pompadour, les financiers, lesmaréchaux de Noailles et deRichelieu et celui des dévots mené par la famille royale,Mgr de Beaumont, lecomte d’Argenson,Boyer, détenteur de la feuille des bénéfices, et le cardinal deTencin.Louis XV ne s’est pas soumis à la volonté de l’Église pour sa vie privée, mais il se soumet en tant que roi : il l’a exemptée de l’impôt du vingtième par un arrêt du Conseil le 23 décembre 1751. Cette affaire du vingtième a suscité depuis deux ans quantité d’opuscules, les uns bourrés de références à l’histoire de l’Église soutenant les prétentions du clergé, les autres très incisifs dénonçant l’entêtement des prêtres à se servir du nom de Dieu pour se soustraire à un impôt considéré comme juste. En accordant au clergé le maintien de son immunité fiscale, le roi se déconsidère auprès de ses sujets, qui se plaignent sans cesse des impôts écrasants qui pèsent sur eux. Pour reprendre l’expression de l’avocat Barbier, l’opinion est très montée contre « la gent ecclésiastique ». Le premier ordre du royaume l’emporte sur le roi, mais il ne mesure pas le discrédit qui le frappe dans l’opinion.
Forts de ce succès, les évêques ont voulu lier le roi encore plus étroitement à leur cause et l’éloigner de toute velléité réformatrice en faisant renaître de ses cendres la querelle janséniste qu’on pouvait croire assoupie. Tout a commencé au mois de juin 1749, lorsque l’abbé Coffin, principal du collègede Beauvais 1 , janséniste notoire, s’était trouvé à l’article de la mort. N’ayant pu obtenir de lui un acte de soumission à la bulle, son confesseur n’avait pas voulu l’entendre en confession et M.Bouëttin, curé de Saint-Étienne-du-Mont, lui refusa les sacrements. Le neveu du père Coffin, conseiller au Châtelet, s’était plaint au premier président du Parlement, lequel l’avait renvoyé à l’archevêque de Paris,Mgr de Beaumont, qui entendait éradiquer le jansénisme. Aussi s’était-il montré intraitable avec le malheureux Coffin qui mourut en état de péché. Considéré comme un saint dans son collège, il avait été traité comme un hérétique. Le lendemain, Paris scandalisée s’était réveillée janséniste et 4 000 personnes avaient suivi les obsèques du défunt. Persuadé qu’il suffit de vouloir se repentir et d’appeler un prêtre à son lit de mort pour être sauvé, le peuple s’indignait des injonctions de Mgr de Beaumont qui exigeait désormais un billet de confession signé d’un prêtre constitutionnaire pour obtenir les derniers sacrements.
La guerre déclarée aux jansénistes se poursuivit. Plusieurs prêtres refusèrent d’administrer des mourants. Cette intransigeance entraîna des remontrances du Parlement qui restèrent sans effet. Une nouvelle affaire qui ressemblait fort à celle du père Coffin ranima la colère parlementaire en mars 1752 lorsque le curé de Saint-Étienne-du-Mont, toujours lui, refusa les sacrements à un vieil oratorien janséniste. Cette fois, les magistrats sommèrent ce prêtre d’administrer le malade sous peine de saisie de son temporel. Deux jours plus tard, un arrêt du Conseil cassa l’arrêt et leprésident Maupeou fut convoqué à Versailles pour en entendre la lecture. Le Parlement, qui avait pris l’affaire en main, supplia le Conseil de permettre au moribond de recevoir les sacrements, mais ce dernier mourut sans les avoir reçus. Le Parlement s’émut d’autant plus qu’on était en pleine Semaine sainte. Il décréta lecuré Bouëttin de prise de corps. Averti de cette décision, le prêtre s’enfuit avant l’arrivée de l’huissier venu l’arrêter. Le 7 avril 1752, par un arrêt du
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