Le temps des illusions
collective ou leur terreur était-elle justifiée ? Des enfants ont réellement disparu. Les observateurs les plus sages critiquent Berryer de ne pas avoir donné des ordres stricts à ses exempts dès les premiers enlèvements et pris les mesures qui s’imposaient pour rassurer la population. Pendant ces émeutes, dont la spontanéité ne fait aucun doute, on a violemment attaqué la personne du roi par des injures aussi méprisantes que celles proférées jadis par les ligueurs contreHenri III. Ce ne sont évidemment pas les mignons du roi, qui sont visés, mais la maîtresse avec laquelle il vit dans un luxe jugé insensé, alors que le peuple est pressuré d’impôts. Au plus fort des émeutes on a parlé d’aller brûler Versailles et le château de Bellevue. Des troupes durent garder le pont de Sèvres.
En ces journées troublées, sous-estimant le danger, lamarquise faillit être victime de la vindicte populaire. Alors qu’elle allait à Paris elle rencontra le marquis deGontaut venu tout exprès à sa rencontre. Il la pria de rebrousser chemin au plus vite, car le peuple commençait déjà à s’amasser sur le rempart de la maison où elle était attendue.
Ces événements frappent désagréablement le roi et sa maîtresse. Cependant, ils n’en retiennent que l’aspect monstrueusement anecdotique. « À propos de folie, dit la marquise à son frère, vous aurez su celle des Parisiens. Je ne crois pas qu’il y ait rien d’aussi bête que de croire qu’on veut saigner leurs enfants pour baignerun prince ladre. J’avoue à ma honte que je les croyais moins imbéciles. »Louis XV résolut d’éviter de passer par sa capitale pour se rendre à Compiègne. Pendant la nuit du 6 juin, il partit de La Muette par un chemin à travers la plaine Saint-Denis. Ce voyage avait un air de fuite.
Le calme était alors rétabli. La police avait procédé à plus de trente arrestations. Le Parlement, qui s’était saisi de l’affaire, avait commencé par rendre un arrêt déclarant qu’on n’avait jamais donné l’ordre à la police d’arrêter des enfants et que si cela avait eu lieu les parents n’avaient qu’à présenter une requête pour en obtenir l’élargissement. Cela est faux ; on sait de source sûre, mais restée secrète, queBerryer en avait signé un pour que l’on prît les enfants jouant sur le rempart et sur les places publiques. On en relâche chaque jour.
Ensuite, le Parlement entendit 234 témoignages et la procédure alla grand train contre les archers qui arrêtaient les enfants. On dit qu’ils n’avaient reçu aucun ordre et qu’ils avaient agi pour tirer une rançon de leurs parents qui étaient de bons bourgeois. La cour mit une vingtaine d’accusés sur la sellette et prononça trois condamnations à mort, la première contre un brocanteur de seize ans, la deuxième contre un charbonnier de vingt-quatre ans et la troisième contre un portefaix du même âge. Ils étaient accusés de violences contre l’ordre public, mais les ravisseurs d’enfants et leurs acolytes défendus par leurs supérieurs hiérarchiques n’encoururent aucune peine.
Ces exécutions ne déshonoreront pas les familles des condamnés et aujourd’hui le petit peuple nourrit une profonde haine contre la police en principe chargée de le protéger et en particulier contre M. Berryer qui s’est discrédité au cours de ces journées de violence. Ils n’hésitent plus à manifester leur mépris contre les ministres, qu’ils estiment bornés et dépourvus de compassion. Le Parlement n’échappe pas à leur vindicte. Les Parisiens vomissent des injures contre son président et disent qu’on peut se torcher le c… avec ses arrêts.
Le jour du supplice, qui eut lieu en retrait et non sur la place de Grève comme c’est la coutume, les cris de grâce étaient si forts que le bourreau hésita avant de faire son devoir, mais la troupe menaça de charger la foule et les trois corps se balancèrent bientôt au bout de leur corde.
1 - Cf. infra , chap. xviii , p. 401.
2 - Cf. supra , chap. vii , p. 160-161.
Chapitre XVIII
Les rayons et les ombres
Révolution de palais
Mme de Pompadour a triomphé de tout. Les ministres la préviennent de ce qu’ils vont dire au roi. C’est d’ailleurs lui qui l’exige. Lecomte de Kaunitz, l’ambassadeur de l’impératriceMarie-Thérèse, s’entretient souvent avec elle. « Mme de Pompadour, dit-il, a une qualité qui la rend très propre aux
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