Le temps des illusions
Nonaindières, ayant cru entendre crier un garçon dans une voiture fermée, une commère ameuta les passants. En quelques minutes, des artisans, des hommes du port, des laquais accoururent et prirent à partie archers et exempts suspectés de connivence avec les « mouches ». On ouvrit la voiture ; elle était vide, mais la foule ne se calma pas. L’émeute se propagea dans le quartier Saint-Antoine et ne se dissipa que dans la soirée. Les bruits les plus insensés se répandirent. On allait jusqu’à prétendre qu’un prince « ladre », c’est-à-dire lépreux, avait besoin de se baigner dans le sang d’adolescents pour combattre son mal !
Le 22 mai, il y eut plusieurs séditions. La première se déroula dans le cloître de Saint-Jean-de-Latran. La deuxième commença près de la porte Saint-Denis. La foule se déchaîna contre unarcher et le poursuivit jusqu’à la demeure d’un commissaire rue de Cléry où se trouvaient plusieurs agents de la police. La maison, attaquée à coups de pierre, fut saccagée. Un autre tumulte éclata place de la Croix-Rouge, faubourg Saint-Germain, lorsque deux archers voulurent s’emparer du fils d’un cocher. Les cris du garçon avaient attiré son père qui se précipita sur les ravisseurs, aidé par des voisins venus à la rescousse. L’un des archers se réfugia chez un rôtisseur. Ses poursuivants voulurent entrer dans la boutique, mais l’un des employés saisit une broche pour défendre la porte. Il ne fit qu’attiser la colère de ces hommes, qui pénétrèrent dans la rôtisserie et la mirent à sac en quelques instants : batterie de cuisine, vaisselle d’argent et meubles volèrent par les fenêtres ; les pièces de vin éventrées se répandaient dans la rue. Deux hommes furent tués dans les caves. Le tumulte dura jusqu’à dix heures du soir avec une telle violence que le guet n’osa pas intervenir.
Le même jour, dans le quartier de la Cité, un soldat conduisant un écolier du collège des Quatre-Nations fut attaqué par de solides passants qui le prirent pour un voleur d’enfants. Il pénétra chez un commerçant rue du Harlay où deux escouades de la garde vinrent le chercher pour le mettre en sûreté chez un commissaire rue de la Calandre. Aussitôt des habitants du quartier tendirent des chaînes dans les rues pour empêcher la garde de passer et se saisirent de tout ce qui leur tombait sous la main pour attaquer la maison du commissaire ; ils brisèrent la porte avec une hache et allumèrent un incendie. Le guet lança une décharge. Un homme s’écroula ; les émeutiers ripostèrent et deux archers trouvèrent la mort. Pendant ce temps, le commissaire avec sa femme et ses enfants s’enfuirent par les toits.
Le samedi 23 mai, les violences furent pires encore. La sédition commença le matin sur la butte Saint-Roch où un enfant allait être pris par une « mouche ». Un monde considérable courut après l’espion jusqu’à la maison d’un commissaire où il se réfugia, rue Saint-Honoré, en face de l’église Saint-Roch. Les poursuivants exigèrent qu’il leur fût livré. Le commissaire refusa. Un archer tira ; un homme touché au ventre s’écroula, ce qui mit le peuple en fureur. L’attaque du domicile commença à coups de pierre avec une telle violence que le commissaire livra la « mouche ». En une minute, elle fut assommée, sa tête écrasée contre une planche hérissée de clous et son cadavre tiré par les pieds dans le ruisseaujusque chez le lieutenant général de police, M. Berryer, qui habite lui aussi rue Saint-Honoré. Les séditieux voulaient ficher le cadavre à sa porte mais ils manquaient de pointes assez longues. Ils abandonnèrent le corps sur la chaussée et envoyèrent des pierres dans les fenêtres en lançant de terribles imprécations contreBerryer, lequel était sorti par une porte donnant sur le couvent des Jacobins. Le soir, des détachements de gardes-françaises et suisses arrivèrent près de Saint-Roch. En rang de huit, les cavaliers foncèrent au galop, l’épée à la main, jusqu’à la maison de M. Berryer. L’émeute se dispersa aussitôt. À dix heures du soir, il n’y avait plus personne dans la rue.
Le lendemain dimanche 24 mai, Paris était tranquille. Beaucoup de curieux vinrent rue Saint-Honoré constater l’étendue des dégâts. La troupe était présente pour éviter de nouveaux débordements.
Les Parisiens ont-ils été la proie d’une psychose
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