Le temps des illusions
heureusement, on s’aperçut que la balle n’avait fait qu’effleurer son épaule. On arrêta l’hémorragie avec des orties écrasées entre deux pierres et on banda la blessure avec des compresses. Les assistants avaient compris qu’un homme était le prix du combat. Mme de Nesle avoua son nom. Un page duRégent, qui avait assisté à la scène, raconta l’histoire au prince dès le lendemain matin. Au lieu de plaindre la pauvre marquise, Philippe d’Orléans et la compagnie éclatèrent de rire à l’idée que deux femmes de haute naissance aient pu répandre leur sang pour ce don Juan.
Leduc de Richelieu exerce un pouvoir incroyable sur toutes celles qu’il rencontre. Aujourd’hui, deux princesses rivales ont décidé de s’allier pour obtenir sa grâce. On ne peut imaginer situation plus pathétique ou plus cocasse, suivant le parti qu’on adopte. Mlle deValois, fille du Régent, et Mlle deCharolais, princesse de Condé, se partagent les faveurs de M. de Richelieu. Depuis qu’il est embastillé, elles ont décidé de s’allier pour obtenir sa libération. Mlle de Valois a menacé son père d’un coup d’éclat si son amant ne sortait pas de prison. LeRégent s’est récrié : leduc de Richelieu n’est à ses yeux qu’un criminel d’État passible de la peine de mort. Épouvantée par cette perspective, Mlle deValois, qui doit épouser le duc deModène qu’elle n’aime pas, a pensé faire du chantage à son père. En attendant, elle a corrompu les gardiens de la Bastille et obtenu de voir celui qu’elle aime. Elle a pleuré avec lui et lui a promis de ne pas épouser le duc de Modène tant qu’elle n’aurait pas obtenu sa délivrance. Mlle deCharolais et elle se sont associées pour acheter les geôliers. Elles viennent le soir en silence avec des bougies, des briquets, des bonbons. Elles se concertent avec le prisonnier et le conseillent sur les réponses qu’il doit faire aux interrogatoires.
Pendant ce temps, l’armée française remporte des victoires sur l’Espagne, ranimant les espoirs des deux princesses.
Que la fête commence en attendant les Espagnols
Les armées dePhilippe V sont moins redoutables que les libelles et les manifestes dont il a inondé la France avant la guerre, lorsqu’il dénonçait l’illégitimité de Philippe d’Orléans. On sait comment Mme duMaine a favorisé cette propagande qui a troublé l’opinion. Les Français ont en effet du mal à comprendre pourquoi on porte les armes contre l’Espagne alors qu’on s’est épuisé pendant treize ans (1701-1714) dans un conflit meurtrier pour maintenir Philippe V sur son trône. Depuis la déclaration de guerre, ce monarque invite les troupes françaises à déserter et il a fait des propositions d’engagement à plusieurs officiers français, et non des moindres, puisque le duc de Richelieu en faisait partie. Jusqu’alors, on ne déplore pas beaucoup de défections, mais le Régent redoute un soulèvement en Bretagne soutenu par un débarquement espagnol.
Les Bretons sont des sujets indociles que le maréchal deMontesquiou, gouverneur de cette province, croit pouvoir mater par la force, car la révolte couve depuis longtemps. La Bretagne s’estime trop lourdement pressurée d’impôts et les états ont refuséde se soumettre à une taxe supplémentaire frappant l’alcool et le cidre. Plusieurs émeutes ont éclaté. La noblesse en a appelé au parlement de Rennes et M. deMontesquiou a riposté en exilant plusieurs gentilshommes en Béarn. Dans l’espoir de calmer les esprits, le Régent a supprimé la taxe sur l’alcool, mais M. de Montesquiou a jugé bon d’exiler les magistrats les plus remuants. Plusieurs nobles ont riposté par un « Acte d’union pour la défense des libertés de la Bretagne » qui a très vite circulé dans les châteaux. Tous les hobereaux tiennent à ces libertés comme à la prunelle de leurs yeux, mais quelques-uns d’entre eux ayant proposé de faire appel au roi d’Espagne, plusieurs gentilshommes se sont retirés considérant qu’il s’agissait d’une trahison.
En évoquant le soutien dePhilippe V, les meneurs de la révolte, le comte deLambilly, le comte deBonamour, le comte deRohan-Pouldu et le marquis dePontcallec savaient de quoi ils parlaient. Au mois de mai 1719, ils avaient envoyé l’un des leurs, Jacques de Mellac, demander l’aide de Philippe V. Mellac revint chargé d’une lettre d’encouragement adressée aux Bretons. Philippe V
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