Le temps des illusions
savait plus que faire, sinon conserver les apparences. Plusieurs comparses avaient déjà pris la poudre d’escampette. Alors qu’elle jouait comme d’habitude au biribi, l’homme qui tenait la banque annonça fort tranquillement que l’ambassadeur d’Espagne était arrêté et qu’un de ses affidés avait dénoncé tous ses complices. Comme il éclatait de rire, la duchesse dit simplement : « Cela est fort plaisant. » Elle n’en menait pas large. L’étau allait inévitablement se refermer sur elle et ses amis. Les arrestations se multipliaient, grossissant aux yeux du public l’énormité du complot.
Le 25 décembre, leRégent tint chez lui un Conseil à l’issue duquel il décida l’arrestation de M. et de Mme duMaine. Le 29, à huit heures du matin, vingt gardes du corps et vingt mousquetaires arrêtèrent le duc du Maine pour le conduire dans la sinistre et insalubre forteresse de Doullens en Picardie. À la même heure, Mme du Maine était arrêtée de la même façon que son époux, dans sa maison de la rue Saint-Honoré, et emmenée au château de Dijon.
Les rumeurs les plus insensées coururent dans Paris. En châtiant les légitimés, le Régent porta un coup à « la vieille cour » et à la noblesse de province susceptible de lier sa cause à la leur.Alberoni, le Premier ministre d’Espagne, enrageait. Il rêvait d’un soulèvement chassant leduc d’Orléans contre lequel il se répandit en invectives. Il renvoya rudement l’ambassadeur de France et le Régent fit conduire le prince deCellamare sous bonne escorte jusqu’à la frontière. La guerre semblait inévitable.
Richelieua fait l’amour mais ne fera pas la guerre
Le 9 janvier 1719, sur toutes les places publiques, les trompettes annonçant la guerre contre l’Espagne sonnent. Il ne faudrait cependant pas s’imaginer que les révélations récentes de Cellamare sont la cause profonde du conflit. Elles ont tout simplement servi de prétexte. En effet, le Régent souhaite depuis longtemps quePhilippe V renonce officiellement à ses droits au trône de France.George I er de Hanovre veut qu’il cesse de soutenir les prétentions dufils de Jacques II Stuart et reconnaisse la légitimité de sa couronne. Seule une défaite de l’Espagne contre la France et l’Angleterre obligera Philippe à s’incliner. La défaite de Philippe V semble d’autant plus probable qu’il est déjà en guerre contre l’empereur dans la lutte qu’ils mènent pour la domination de l’Italie. Jusqu’alors, Philippe V a subi défaite sur défaite et l’empereur, on s’en souvient, est entré dans la Triple-Alliance devenue ainsi la Quadruple-Alliance. L’armée et la flotte espagnoles sont faibles.
En France, on commence à nommer généraux et colonels ; beaucoup de gentilshommes espèrent une promotion. De son côté, Philippe V promet monts et merveilles aux Français qui voudront s’engager de son côté. Il semble bien que le duc de Richelieu nesoit pas resté insensible à de telles propositions. Ce séducteur de vingt-trois ans, colonel d’un régiment tenant garnison à Bayonne, s’est laissé prendre au chant des sirènes espagnoles. Il vient d’être arrêté et conduit à la Bastille ainsi que quelques-uns de ses amis. Beaucoup de dames doivent se trouver bien en peine, car ce joli cœur collectionne les conquêtes. Récemment, deux d’entre elles se sont battues en duel au bois de Boulogne pour savoir laquelle des deux lui resterait si elles ne mouraient pas toutes deux. Mme dePolignac en avait été aimée quatre ans plus tôt. Elle n’avait pas supporté qu’il l’abandonnât. Jalouse de toutes les dames qui lui avaient succédé, elle s’en prit à la marquise deNesle et la provoqua en duel au pistolet. Les deux dames en tenue d’amazone se rencontrèrent au lieu dit avec leurs témoins. Elles lâchèrent chacune un coup de pistolet. Mme de Nesle s’effondra le sein ensanglanté.
Mme de Polignac s’écria :
« Va, je t’apprendrai à vivre et à vouloir aller sur les brisées d’une femme comme moi.
– Vous êtes vengée, repartit un des témoins, il ne convient pas d’insulter au malheur de votre ennemie que vous avez blessée, sa valeur doit vous la faire estimer.
– Taisez-vous jeune étourdi, répondit-elle, il ne vous convient pas de me donner des leçons. »
Pendant ce temps, on s’affairait autour de Mme de Nesle qui restait couchée sur l’herbe. Son sang coulait mais, fort
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