Le temps des illusions
briser les prétentions du Parlement et réduire à néant le rôle du duc duMaine.
Le 26 août, Paris se réveille à cinq heures du matin, au bruit des tambours. Des estafettes courent à travers la ville avertir ces messieurs du Parlement de se trouver à huit heures au palais des Tuileries pour la tenue d’un lit de justice. Pendant ce temps, des ouvriers aménagent la grande antichambre du roi pour cette solennité et des troupes investissent les abords de la résidence royale. Éveillés à l’aube, les magistrats se pressent soucieux vers le palais, les uns à pied, les autres en chaise ou en carrosse.
On n’attend plus que le réveil du roi ; depuis le début de la canicule, il couche dans le cabinet du Conseil. Dès qu’il ouvre les yeux, on le conduit dans sa chambre pour l’habiller tandis qu’on range le cabinet dans lequel pénètrent le duc d’Orléans, les princes et les autres membres du Conseil de régence ainsi que M. d’Argenson, le garde des Sceaux. Le duc du Maine et le comte deToulouse sont également présents. « Voilà un homme qui me perce le cœur », murmure le Régent au duc de Saint-Simon en voyant le comte de Toulouse. Il s’approche de lui : « Je t’ai toujours aimé et t’aime encore, lui dit-il, mais je te prie de ne pas entrer au Conseil aujourd’hui parce qu’on doit parler d’affaires qui te regardent toi et le duc du Maine. » Aux raisons qu’il demande, le duc d’Orléans répond qu’il se passera des choses désagréables pour son frère. M. de Toulouse prend le duc du Maine par le bras, lui parle à voix basse et l’entraîne hors du cabinet. Personne ne comprend ce qui se passe jusqu’au moment où le Régent prend la parole devant le Conseil, tandis que les magistrats s’assemblent dans la pièce voisine. Il leur déclare qu’il compte remettre le Parlement dans les bornes du devoir qu’il a perdues de vue et démettre le duc duMaine de sa charge de surintendant de l’éducation de Sa Majesté. Aussitôt, le duc deBourbon sollicite l’honneur de le remplacer. Non seulement le duc du Maine se voit dépossédé de l’éducation de S.M., mais il est aussi exclu du Conseil de régence et obligé de quitter sans attendre son appartement des Tuileries.
Une atmosphère pesante règne dans l’antichambre du roi où Messieurs du Parlement se sont installés. Cette soudaine convocation ne présage rien de bon pour eux. Ils scrutent le visage duRégent. L’absence des légitimés intrigue et inquiète le premier président, tout dévoué au duc du Maine. Le duc deSaint-Simon se rengorge et lui assène une prunelle assassine. Tous les regards se tournent vers le roi, qui apparaît dans toute la grâce de son âge. Legarde des Sceaux prend alors la parole pour ordonner au nom du roi que l’édit créant son office soit sans tarder enregistré. Il présente ensuite les lettres patentes réduisant les droits du Parlement qui doivent être enregistrées sur-le-champ. Enfin les décisions concernant les légitimés sont énoncées.
À deux heures de l’après-midi, la séance prend fin. Le petit roi, qui est resté parfaitement attentif, peut enfin se dégourdir les jambes et se met à rire avec ceux qui sont les plus proches de lui. Les parlementaires repartent atterrés par ce qu’ils viennent d’entendre et préparent une riposte. Ils ont décidé de se réunir dès le lendemain.
Le Régent ne se laisse pas impressionner par ces messieurs qui l’ont aidé à prendre le pouvoir à la mort du feu roi et qu’il vient de réduire à leurs seules attributions judiciaires. Qu’ils ne s’avisent pas maintenant de faire valoir des revendications. Le prince les laisse palabrer entre eux deux jours de suite. Mais dans la nuit du dimanche 28 au lundi 29, il fait arrêter les trois principaux meneurs qui sont conduits l’un aux îles Sainte-Marguerite et les deux autres à Belle-Isle-en-Mer. Scandalisés par le sort réservé à leurs collègues, les autres magistrats ont envoyé une députation auprès du garde des Sceaux ; il leur a répondu que le roi voulait ainsi faire respecter son autorité. Et le palais est fermé jusqu’au 30 août. Ces messieurs n’ont plus qu’à filer doux.
Le bruit courait depuis quelques semaines que de grands changements se préparaient. Leur confirmation ne se fait pas longtemps attendre : les Conseils sont supprimés et remplacés par des ministères. Le duc deSaint-Simon lui-même reconnaît qu’ils
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