Le temps des illusions
nomméDestouches. Elle se trouva enceinte ; son amant voulut l’épouser, mais elle refusa. Il partit alors en mission à Saint-Domingue. Soucieuse de cacher une grossesse qui entravait sa liberté, elle décida de quitter l’hôtel de sa sœur,Mme de Ferriol, pour élire domicile dans un bel appartement du couvent de la Conception. Quelques mois plus tard, elle accoucha secrètement d’un fils rue de l’Arbre-Sec, chez ledocteur Molin, un médecin du roi qui connaissait son histoire et qui accepta de faire déposer le nouveau-né sur les marches d’une église. Un domestique exécuta la mission. Il abandonna l’enfant devant la chapelle de Saint-Jean-le-Rond adossée à la cathédrale Notre-Dame.
LorsqueDestouches revint, il trouva sa maîtresse tenant salon rue Saint-Honoré. Douloureusement surpris qu’elle n’ait pas gardé l’enfant, il fit une enquête, retrouva son fils dont la santé inspirait de vives inquiétudes, le confia à une nourrice qui le sauva. Destouches se prit d’affection pour le petit garçon appeléJean-le-Rond. Son intelligence le séduisit bientôt. En 1724, il a convaincu Mme de Tencin d’aller le voir, mais elle ne s’est pas attardée auprès de l’enfant, âgé de huit ans, dont elle ne veut rien savoir. Destouches l’a recommandé à sa famille, qui lui a donné le nom de D’Alembert ; il vient d’entrer comme gentilhomme au collège des Quatre-Nations.
Alexandrine a poursuivi son existence agitée dans les eaux du pouvoir, couchant toujours utile ! (Destouches est une exceptiondans sa carrière amoureuse.) Elle songe à l’avenir de son frère récemment nomméarchevêque d’Embrun et qui rêve d’obtenir la pourpre cardinalice. Pourquoi n’en ferait-elle pas un Premier ministre ? Tout en soignant ses hautes relations, elle a pris du bon temps dans les bras d’un séduisant financier, lechevalier de La Fresnaye, conseiller au Grand Conseil, un homme qui en impose par sa taille très élevée et son air de grand seigneur. Alexandrine, qui s’est enrichie du temps deLaw, espère faire encore fructifier sa fortune. Elle a confié des fonds à La Fresnaye et engagé son frère à en faire autant. Cependant, le chevalier n’était pas aussi habile ni aussi honnête qu’elle le croyait. Des opérations assez louches lui ont valu une condamnation et il doit aujourd’hui 28 000 livres à sa maîtresse et 20 000 livres à l’archevêque. Furieuse d’avoir été sa dupe, Alexandrine lui a fait des scènes violentes et a rompu avec lui. Ruiné, criblé de dettes, il a été contraint de vendre tous ses biens et se verrait réduit à la mendicité s’il n’était pas accueilli par quelques rares amis. Il n’ose plus se présenter chez son ancienne maîtresse.
Cependant, le matin du 6 avril 1726, La Fresnaye sonne à la porte de Mme de Tencin. Le domestique l’introduit dans le salon où se trouvent Alexandrine, sa sœur, lacomtesse de Groslée, son neveu, lechevalier Jean-Louis et l’abbé Veyret. L’arrivée deLa Fresnaye qui semble très agité jette un froid. Quelques instants plus tard, l’abbé Gaillande est annoncé. Comprenant qu’il se passe quelque chose d’insolite, ce dernier ne tarde pas à prendre congé. Après son départ, La Fresnaye demande à Mme deTencin la permission de se retirer dans un boudoir servant à la fois de bureau et de cabinet de toilette. Sans un mot, elle lui fait signe de passer dans cette pièce. Surpris par cet étrange comportement, les quatre amis s’interrogent du regard. À peine ont-ils repris place qu’une détonation retentit dans le boudoir. L’abbé Veyret se précipite et pousse un cri : La Fresnaye gît dans une mare de sang, un pistolet à la main. Son jabot de dentelle qui a pris feu enflamme déjà les rideaux. Jean-Louis de Groslée éteint le début d’incendie devant les deux sœurs et l’abbé terrifiés.
Sans perdre une minute, Alexandrine envoie chercher son frère, qui accourt, ferme lui-même la porte cochère afin que les domestiques n’aillent pas clabauder au-dehors et tient rapidement conseil avec ses sœurs. Il faut à tout prix étouffer une affaire qui risquede leur porter préjudice à tous. L’archevêque fait appeler un avocat, maître Chevallier, qui arrive à midi. Ce dernier rappelle que La Fresnaye étant membre du Grand Conseil, l’affaire doit être remise entre les mains des magistrats de ce corps et qu’il faut faire pression pour qu’ils agissent le plus
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