Le temps des illusions
réfutait tous les prétendus miracle s qu’on lui attribuait. C’était frapper de nouveau le jansénisme.
Les déclarations de l’archevêque n’ont guère impressionné les fidèles. De toutes parts, ils continuent de se presser vers le cimetière Saint-Médard où il se passe des choses de plus en plus surprenantes. Ceux qui implorent une guérison sont pris de transes comme des possédés : ils se mordent, poussent des hurlements, sautent, se lacèrent le corps… Parmi les femmes, on distingue « les sauteuses, les aboyeuses, les miaulantes ». Pour tous ces dévots, les convulsions sont le signe de la présence divine. L’assistance émerveillée chante et prie. Après un moment plus ou moins long, les convulsionnaires retrouvent le calme et l’on crie au miracle . D’autres courent comme des fous autour des tombes ; une jeune fille qu’on dit « pulmonique » fait de grands pas les yeux bandés suivie par un garçon qui tient le bas de sa robe ; une femme appelle le diacrePâris à son secours en hurlant : « Mon bras brûle et je n’ai plus de dents. » Ces scènes de psychose collective se reproduisent tous les jours.Hérault, le lieutenant de police, a envoyé des exempts qui lui remettent régulièrement des rapports sur cette foire aux miracle s. Ils regardent avec stupeur toutes ces folies et s’insurgent surtout de voir des filles jeunes et jolies rester deux ou trois heures les seins nus et les jambes en l’air, laissant voir « tout ce qu’une femme doit cacher ».
Ce spectacle permanent attire les voleurs à la tire mais aussi des spectateurs qui viennent là comme au théâtre. Des carrosses encombrent les rues adjacentes : on a vu ceux de la princesse deRohan, de la duchesse deMontbazon, de la duchesse d’Antin et bien d’autres encore. Des magistrats, des avocats, des professeurs accourent eux aussi. Quant aux médecins, ils se relaient dans la sacristie pour observer des phénomènes qu’ils essaient de comprendre. Ils constatent l’état des malades et enregistrent parfoisdes guérisons qui les surprennent. L’un d’eux a noté qu’une femme a laissé en ex-voto ses béquilles après avoir fait vérifier le miracle opéré sur elle. L’abbé Bécheran de La Motte, un prêtre affligé d’une jambe plus courte que l’autre, fait figure de vedette. Dès qu’il paraît, on lui fait place ; il traverse la foule qu’il salue gracieusement. Suivi de son laquais et de quelques ecclésiastiques à la mine grave, il vient régulièrement se coucher sur la tombe où l’on place deux coussins. Son domestique desserre le col de son maître et délie ses jarretières. Après que l’on a psalmodié quelques instants, l’abbé s’agite ; il est bientôt pris de sursauts, se tord dans tous les sens et fait mille extravagances comme de dire l’alphabet à l’envers. « Miracle ! Miracle ! » s’écrie l’assemblée. Cependant, sa jambe ne s’est pas rallongée et il repart en claudiquant comme devant. La princesse deConti douairière, aveugle depuis quatre ou cinq ans, est venue faire des neuvaines sur la célèbre tombe, mais ses prières n’ont pas attiré, semble-t-il, quelque grâce d’en haut.
Les miracle s seraient-ils réservés aux seules petites gens ? Eh bien non ! Le 7 septembre 1731, un conseiller au Parlement, M. Carré deMontgeron, athée, bien connu pour ses débauches, est venu en curieux comme tant d’autres. Il avait bien l’intention de se moquer de toutes ces mômeries. Il est entré en fanfaronnant, mais ému par l’atmosphère de dévotion qui régnait ce jour-là, il s’est agenouillé et s’est abîmé plusieurs heures dans la prière. Il s’est relevé converti. Depuis lors, il confesse partout sa foi nouvelle. Un véritable miracle !
Un autre cas jugé intéressant est celui du chevalier deFolard, auteur célèbre d’une Histoire de Polybe assortie de commentaires sur les devoirs des officiers et sur la guerre dont six volumes ont déjà paru. Ce respectable militaire âgé de plus de soixante ans et qui est sourd depuis une quinzaine d’années n’est pas particulièrement dévot. Il est allé à Saint-Médard où il a été pris de convulsions, mais il n’a pas retrouvé l’ouïe. Plusieurs personnes de distinction qui font partie de ses amis lui ont fait visite chez lui, rue Saint-Honoré, pour constater qu’il était régulièrement repris par ces mêmes transes. Le ministre de la Guerre l’a menacé de lui
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