Le temps des illusions
bien « différente de Wissembourg où elle résidait ».
Deux jours plus tard,la reine partit rejoindre son mari à Fontainebleau. Les prières royales et les assauts du représentant de Dieu sur la terre furent enfin couronnés de succès. La reine accoucha d’unfils le 3 septembre 1729. Pendant quelques jours, les Parisiens oublièrent leurs ressentiments à l’égarddu cardinal et du roi. Dans les rues pavoisées, les boutiques fermèrent leur devanture, des feux de joie flambaient, les cloches sonnaient et du vin coulait des tonneaux installés aux carrefours. Le roi vint assister à un Te Deum célébré à Notre-Dame par le nouvel archevêque de Paris, Mgr duLuc de Vintimille, Mgr deNoailles étant mort depuis peu. Tous les représentants des grands corps de l’État étaient présents. Le souverain se rendit ensuite à l’Hôtel de Ville avec toute sa cour. À la nuit tombée, il admira un feu d’artifice avant de présider un souper. Il quitta la ville à onze heures et demie en faisant le tour de la place Vendôme éclairée par des centaines de bougies et repartit pour Versailles par la rue Saint-Honoré suivi par de simples détachements de troupe.
La reine était heureuse : on n’avait pas célébré la naissance d’un dauphin depuis soixante-huit ans ! C’est elle, l’« Étoile du Nord », qui venait de le donner à la France. Le roi rayonnait de bonheur. Il offrit un somptueux nécessaire de toilette à son épouse et songea à lui donner Trianon.
Le médecin de la reine exigea que les époux vécussent séparés pendant trois mois de façon que la reine fût capable de donner un autre héritier au royaume. Cette fois encore, les vœux royaux furent comblés. Le 30 août 1730, la reine mit au monde un second prince,Philippe, titré duc d’Anjou. À vingt ans,Louis XV est déjà père de cinq enfants. Il a commandé au peintreSimon Belle un portrait de la reine tenantle dauphin sur ses genoux.
Marie incarne désormais la maternité, mais à vingt-six ans elle a perdu l’éclat de la jeunesse. Les médecins, toujours soucieux pour sa santé, ne veulent pas qu’elle participe aux bals et aux chasses ; elle ne suit plus son mari lors de ses séjours à Fontainebleau ou à Compiègne. D’ailleurs, cet époux qui semble béni des dieux ne s’amuse guère en sa compagnie bien que la reine soit beaucoup plus subtile que la plupart des femmes de la Cour. Elle ne craint pas d’afficher les plus rares vertus au risque de les voir tournées en dérision. D’un esprit droit, comprenant beaucoup, devinant plus encore, douée d’un tact naturel qui la sauve des situations les plus délicates, elle se tient volontairement à l’écart des affaires. Marie a renoncé à conquérir le cœur de son époux dont elle ne parvient pas à se faire aimer.Louis XV subit impatiemment le joug du mariage qu’un fond de religion l’empêche de rompre. La Cour s’en rend compte. Désormais, les spéculations vont bon train sur l’avenir du couple royal.
1 - Guy Chaussinand-Nogaret, Le Cardinal de Fleury , Paris, Payot, 2002, p. 57-58.
2 - Cité par Anne Muratori-Philip in Marie Leszczynska, épouse de Louis XV , Paris, Pygmalion, 2010, p. 88.
3 - René-Louis de Voyer, marquis d’Argenson, Journal et mémoires , t. I, p. 113.
4 - Marivaux prête ces réflexions à l’une de ses héroïnes, Marianne, dont le prénom est le titre du roman.
5 - Cf . supra , p. 84.
6 - Tous les ecclésiastiques devaient souscrire à cette formule de doctrine qui condamnait les propositions de Jansenius.
7 - Tencin avait été accusé du crime de « confidence » pour le prieuré de Merlou situé dans le diocèse de Beauvais qui était devenu vacant en 1717 et qu’il prétendait uni à son abbaye de Vézelay en vertu d’une bulle de sécularisation de janvier 1537. Il en avait pourvu son neveu, qualifié de clerc tonsuré. Or il en prit possession lui-même et en toucha les revenus. Son neveu servait donc de prête-nom, ce qui constitue ce que l’on appelle le crime de confidence, autrement dit la concession d’un bénéfice ecclésiastique à un tiers au profit du donateur. Si un membre du clergé en est reconnu coupable, il perd tout droit aux autres bénéfices. À l’issue de deux procès, Tencin, grâce à ses hautes relations, fut simplement condamné à une faible amende.
8 - Cité par René Vaillot, in Madame de Tencin et le Cardinal , Éditions du Pavillon, p. 191.
9 - Cf.
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