Le temps des illusions
supra, p. 63.
10 - Cf. supra , n. 2 p. 184.
11 - Cf. supra , p. 63.
12 - B.A., mss. 10159, fol. 277-278, 13 août 1729, in Dale K. van Kley, Les Origines religieuses de la Révolution française, 1580-1791 , Paris, Seuil, 2002, p. 205.
Chapitre IX
Convulsions
Le mausolée de Melpomène
L’hiver 1729-1730 a été particulièrement rude. Les Parisiens grelottaient et se distrayaient en regardant les courses de traîneaux auxquels se livraient les jeunes gens fortunés sur le Cours-la-Reine. Emmitouflées dans leurs fourrures, les femmes riaient et se prenaient à jouer les Russes ou les Polonaises. On admira la fête donnée par le prince deCarignan à la nouvelle épouse du duc deBourbon, Caroline deHesse-Rheinfels : il y avait huit traîneaux tirés par un seul cheval et dans le neuvième des musiciens donnaient la sérénade. Cependant, le froid, la neige et le verglas ont causé bien des malheurs. Des vagabonds sont morts gelés malgré les feux qui brûlaient au coin des carrefours et les plus fragiles des habitants n’ont pas survécu à la misère du temps malgré la vente du bois à prix réduit sur ordre de la Ville. Chaque hiver, beaucoup de malheureux succombent à la mauvaise saison, mais celle-ci a été pire que les autres à cause d’une épidémie venue du Nord de l’Europe et qui ressemble à une aggravation de rhume.
Le 20 mars 1730,Adrienne Lecouvreur, la plus belle et la plus talentueuse des comédiennes du Théâtre-Français, est morte à trente-cinq ans après quatre jours de souffrance. Elle jouait Jocaste de l’ Œdipe de Voltaire quand elle fut prise de malaise. On la transporta dans son hôtel où elle mourut dans de violentes convulsions après une crise de dysenterie. Cela ressemblait fort àun empoisonnement. On prétendait que la duchesse deBouillon, folle d’amour pourTribou, un acteur de l’Opéra, avait voulu empoisonner sa rivale ! La rumeur était telle queVoltaire exigea une autopsie qui ne prouva rien sinon que les entrailles de la comédienne étaient gangrenées. La santé de la pauvreAdrienne se délabrait d’ailleurs depuis un certain temps, mais la calomnie a toujours la vie dure !
Mlle Lecouvreur était une personne intelligente et sensible qui savait parler de tout. Elle ne laissait jamais les hommes indifférents. Sa liaison avecMaurice de Saxe, fils naturel duroi de Pologne, était connue de tout Paris. Pour lui, elle avait mis en gage ses diamants et sa vaisselle d’argent afin qu’il eût les moyens d’obtenir la principauté de Courlande ! Plus tard, il jeta son dévolu sur la petiteCarton de l’Opéra, tout en continuant de voir Adrienne. Lui etVoltaire, un autre ancien soupirant, étaient présents à ses derniers moments.
Ses amis voulurent lui rendre les derniers devoirs et l’enterrer religieusement. Mais la France est le seul de tous les royaumes catholiques où les comédiens sont frappés d’excommunication. Il s’agit là, paraît-il, d’une prérogative de l’Église gallicane, qui ne s’applique pourtant pas aux acteurs italiens. Lorsqu’ils revinrent en France à la demande duRégent, ils avaient mis comme condition à leur retour la conservation de leurs droits religieux comme en Italie. On pouvait penser que l’Église accepterait de réintégrer dans son sein les comédiens qui en feraient la demande. C’était sans doute trop lui demander. On vient de s’en rendre compte. M. Languet deGergy, curé de Saint-Sulpice, dont Mlle Lecouvreur était la paroissienne et à laquelle elle léguait 2 000 livres par testament, refusa de la faire inhumer dans le cimetière de son église. Il fallut se résoudre à l’enterrer, sur ordre du lieutenant de police, dans un terrain vague au coin de la rue de Grenelle et de la rue de Bourgogne, à même la terre, sans la moindre cérémonie et sans aucun monument pour marquer l’emplacement de sa tombe.
Indigné par le sort réservé à son amie pour la seule raison qu’elle exerçait la profession d’actrice, Voltaire alla voir les comédiens et les supplia de se mettre en grève afin de faire cesser une situation aussi barbare à leur égard. Mais ceux-ci étaient persuadés que le public ne les soutiendrait pas. Ils ont continué de joueret restent excommuniés. Le scandale et le chagrin ont inspiré au poète ces quelques vers à la mémoire de son amie :
Que contraste frappe mes yeux !
Melpomène ici désolée,
Élève avec l’aveu des dieux
Un
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