Le temps des illusions
lui beaucoup de femmes parmi lesquelles se trouvait CatherineCadière, âgée de dix-huit ans. Elle vivait chez sa mère, veuve d’un marchand de la ville. Très pieuse, voire mystique, elle voulait entrer au couvent, ses deux frères étant eux-mêmes dans les ordres. En 1730, le pèreGirard, son confesseur depuis deux ans, aurait alors soufflé dans sa bouche pour lui transmettre une effluve divine ; il lui prédit qu’elle aurait desvisions et des extases. Elle lui avoua aussitôt la passion qu’elle éprouvait pour lui. « L’amour que vous avez pour moi, lui dit-il, ne doit vous faire aucune peine. Le bon Dieu veut que nous soyons unis tous les deux. » Peu de temps après cet entretien à l’abri du confessionnal, la jeune fille eut chez elle de violentes convulsions, et se mit à blasphémer. « J’ai le diable au corps », hurlait-elle. Les stigmates du Christ apparurent sur sa peau. Ses frères, fort inquiets, firent venir le père Girard qui s’enferma dans la chambre de sa pénitente et la calma. Il lui dit que c’était la volonté de Dieu et qu’elle ne devait pas s’en inquiéter. Il revint ainsi presque chaque jour pour apaiser ces crises qui alarmaient sa famille.
À chacune de ses visites, il restait des heures avec elle, défendant qu’on vînt les déranger. « Est-il possible mon père que j’ai une si grande passion pour vous, l’amour de Dieu produit-il une pareille chose ?, lui disait-elle. Il lui répondait que le bon Dieu l’avait unie à lui, qu’elle n’était plus qu’un même cœur avec lui et l’âme de son âme ; que cet amour ne devait lui faire aucune peine 1 … » Lorsqu’il se trouvait dans sa chambre, « il lui maniait la gorge et lui suçait la plaie qui était en dessous. Il lui faisait souvent des attouchements sur ses parties ; elle se sentait mouillée ; elle avait des pamoisons et ne savait pas ce que cela voulait dire. Quand elle en faisait des reproches au père Girard, il se mettait à rire 2 ». Parfois, il la fouettait avant de la sodomiser. Catherine Cadière raconta aux autres pénitentes du père Girard ce qui se passait entre elle et lui. Ses amies lui dirent qu’il prenait les mêmes libertés avec elles.
Pendant la Semaine sainte de l’année 1730, elle resta en extase du jeudi au samedi. Le pèreGirard s’enferma longtemps avec elle. Lorsque CatherineCadière révéla au père Girard que ses règles avaient cessé depuis trois mois, il lui tâta le ventre et lui fit prendre pendant huit jours certains remèdes de couleur rouge, ce qui lui provoqua un avortement. « Elle évacua une masse de chair avec une perte de sang qui dura huit jours 3 . » Mme Cadière voulut faireexaminer sa fille par des médecins, mais le père Girard lui répondit qu’il s’agissait là de maux divins qui n’étaient pas du ressort de la médecine.
Le jésuite inquiet persuada Catherine de devenir religieuse et la fit entrer au couvent de Sainte-Claire d’Ollioules. Il pria la mère supérieure de déroger à la règle afin qu’il pût voir librement sa pénitente. Les extases et les stigmates de la nouvelle pensionnaire devinrent bien vite un sujet d’émerveillement dans la communauté où elle passait pour une sainte. À ce moment, le père Girard voulut l’envoyer dans la chartreuse de Notre-Dame-de-La Salette près de Lyon, mais l’évêque deToulon venu voir la stigmatisée conçut quelques soupçons et s’opposa à son départ. Il fit installer la jeune fille dans une bastide où on lui donna un nouveau confesseur, le pèreNicolas. Séparée du père Girard, elle sombra dans le désespoir et tenta de s’enfuir pour le retrouver. Le père Nicolas l’interrogea sur ses relations avec le père Girard. Comme ce dernier l’avait persuadée que ces relations étaient parfaitement pures et innocentes, elle raconta ingénument toute son histoire à son nouveau confesseur !
Le père Nicolas avertit aussitôt l’évêque, qui interrogea à son tour la jeune fille et l’exorcisa pour la délivrer de ses obsessions. Les frères de Catherine furent mis au courant des crimes du père Girard, mais tous, à commencer par la victime, souhaitaient que l’affaire fût étouffée. Cependant, le père Nicolas parvint à convaincre l’évêque que le père Girard devait être remis à la juridiction ecclésiastique. Il fut emprisonné et l’Official vint interroger CatherineCadière. Elle commençait à comprendre que son cher confesseur
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