Le temps des illusions
d’une époque optimiste, sûre d’elle-même, éprise de bonheur, étrangère à l’expérience religieuse des Pensées . Il admire les Anglais, gens libres, actifs, qui ne s’embarrassent d’aucun préjugé et qui ont fait la « révolution dans l’esprit » qu’exige la vie moderne. S’inspirant deLocke, il montre le lien qui existe entre leur prospérité et leur philosophie.
Best-seller salué par la critique outre-Manche, l’ouvrage indigne ici le clergé, les magistrats et le cardinal deFleury, qui veut interdire le livre et châtier son auteur. La plupart de ses lecteurs reprochent àVoltaire de se prendre pour un philosophe alors qu’on le considère comme un poète. De quoi se mêle-t-il donc ? Aux yeux de ses détracteurs ironiques, il passe pour un polygraphe qui n’avait pas à s’occuper d’interpréter Locke ouNewton et qui a l’outrecuidance de s’en prendre àPascal. On retient surtout ce dernier point, car la compréhension de l’univers scientifique échappe à la plupart de ses lecteurs. « Tous les honnêtes gens sont révoltés contre ces Lettres philosophiques . On n’a jamais rien vu de si audacieux, ni de si indécent », fulmine le présidentBouhier auprès de son ami l’avocatMarais, qui trouve le texte « abominable ». Tous deux fustigent l’insolence du poète « tombé dans une irréligion continuelle 2 ».
Bientôt condamné par le Parlement, l’ouvrage a été lacéré et jeté au feu tandis qu’une lettre de cachet était envoyée à Voltaire qui avait prudemment quitté Paris juste avant la sortie de son brûlot. Il était parti avecÉmilie assister au mariage duduc de Richelieu près d’Autun. Le séducteur s’est laissé convaincre d’épouser Élisabeth deGuise, une jeune fille belle, intelligente et sage, pour assurer sa descendance. Richelieu était veuf, mais peu de monde s’en souvenait,Louis XIV l’ayant forcé à épouser en 1711 Anne-Catherine deNoailles, un redoutable laideron avec laquelle il refusa de consommer son union. Elle mourut sans bruit en 1716. Mme du Chatêlet, qui a mené ce nouveau mariage comme une intrigue de comédie, était invitée ainsi queVoltaire. Dès qu’il apprit la condamnation qui le frappait, Voltaire a pris en toute hâte des routes peu fréquentées jusqu’au château de Cirey.Émilie se désole et entretient ses amis de sa tristesse. « Je l’ai perdu dans le temps où je sentais le plus de bonheur de le posséder », écrit-elle à l’abbé de Sade.
Sociétés secrètes
Les controverses philosophiques ne retiennent guère l’attention du roi. On se demande d’ailleurs ce qui l’intéresse en dehors de la chasse et des soupers à La Muette ou au château de Madrid. À Versailles pendant le carême de 1734, un jésuite, le pèreTeinturier, a prononcé devant lui un sermon sur le thème de la vie molle . Il déclara qu’un monarque devait être l’âme et la lumière de son Conseil ; qu’il devait inspirer l’action de ses ministres dont il était responsable et se mettre à la tête de ses armées. Pendant cette homélie, aucun courtisan n’osait lever les yeux. Le roi resta impassible et ne manqua dès lors aucune prédication de ce jésuite. Il n’a pourtant rien changé à ses habitudes et sa popularité diminue. Les Parisiens lui en veulent d’avoir abandonné la capitale où on ne le voit guère. Ils lui reprochent de laisser le pouvoir aucardinal, qui va bientôt atteindre ses quatre-vingt-dix ans. Louis sera-t-il capable de gouverner lorsqu’il perdra son mentor ? Les rapports de police destinés à sonder l’opinion publique sont accablants et répètent inlassablement qu’il est « naturellement bête et timide, et qu’il est naturel à S.M. de suivre les préjugés de son enfance qui lui ont été suggérés par son précepteur 3 ».
La politique antijanséniste menée par le cardinal ternit le prestige de la monarchie. La fermeture du cimetière de Saint-Médard a profondément heurté le petit peuple parisien qui croyait aux miracles du bienheureuxParis. Il ne pardonne pas au cardinal d’avoir révoqué ses curés et de les avoir remplacés par des jésuites ou des prêtres soumis à leurs idées. Accusés de tous les maux, suspectés d’être les mauvais conseillers du roi et ducardinal, les Jésuites risquent d’entraîner la monarchie dans le même opprobre si le souverain ne réagit pas.
Mais que faire sinon sévir lorsqu’on sait à quelles folies se
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