Le temps des illusions
intéressantes venaient des anciens ambassadeurs composant la société. L’heure suivante était consacrée aux commentaires sur les affaires du royaume et la troisième heure à la lecture des ouvrages importants sur les sujets dont on avait parlé précédemment. Les membres de l’Entresol échangeaient librement leurs points de vue. Certains de ces messieurs racontaient ce qui se disait lors des réunions. Aussi demandait-on le samedi soir dans la plupart des bonnes maisons de Paris : « Quelle nouvelle ? Car vous venez bien de l’Entresol. » On se lâchait, on raisonnait et l’Entresol devenait le baromètre de l’opinion éclairée.Chauvelin, le garde des Sceaux, se plaignait que l’on se mêlât de trop de choses dans ces assemblées etFleury a demandé aux membres de l’Entresol de mettre fin à leurs activités. « Je vois Monsieur, écrivit le cardinal à l’abbé deSaint-Pierre, que vous vous proposiez dans vos assemblées de traiter des ouvrages de politique. Comme ces sortes de matière conduisent ordinairement plus loin qu’on ne voudrait, il ne convient pas qu’elle en fasse le sujet. »
Avant la dispersion de cette petite académie, une société secrète venue d’Angleterre est la nouvelle tocade de la Cour. Elle passe pour un ordre de chevalerie dans lequel on entre par cooptation. Le nouvel impétrant est soumis à des rites initiatiques et promet de ne jamais révéler les secrets de l’ordre dit des free-masons , autrement dit, en français, des francs-maçons. Entre eux, les initiés s’appellent « frères » et promettent de se soutenir. La maçonnerie française se règle sur les Constitutions de la Grande Loge de Londres. Les premiers articles du règlement condamnent « l’athée stupide », « le libertin sans religion » et affirment que le maçon est « un paisible sujet des puissances civiles ». Les adeptes se regroupent en loges et tiennent des assemblées clandestines. Le chevalierRamsay, l’un des fidèles de l’Entresol, en est l’historien et le philosophe ; il fait remonter les origines de l’ordre à l’Ancien Testament. Il a demandé àFleury de devenir le protecteur de la maçonnerie. « Daignez Monseigneur, soutenir la société des free-masons dans les grandes vues qu’elle se propose et Votre Éminence rendra son nom bien plus glorieux par cette protection queRichelieu ne fit le sien par la fondation de l’Académie française », lui écrivit-il. Pour toute réponse, le cardinal a interdit la tenue des assemblées et ordonné la dissolution de la société. Il s’est cependant bien vite aperçu que plusieurs ministres en étaient membres ainsi que de nombreux seigneurs de la Cour, tels queMaurepas, ministre de la Marine,Saint-Florentin, ministre de la Maison du roi, les ducs deChaulnes, d’Aumont, deVilleroy, le marquis de Mailly et la plupart des familiers du roi.Louis XV lui-même a été sollicité d’entrer dans cette société et l’on croit qu’il s’en est abstenu sur les instances du cardinal. Le prélat, qui n’imaginait pas les ramifications de la secte, a chargéHérault de procéder à des arrestations. Défense est faite aux traiteurs de recevoir des maçons pour leurs réunions. Mais celles-ci se poursuivent dans les hôtels aristocratiques et l’ordre ne cesse de faire de nouveaux adeptes. Il sera bien difficile d’agir contre de si hauts personnages. En attendant, le secret qui entoure la confrérie fait courir les bruits les plus fous sur leurs assemblées.
La dot de la reine de France
Pendant ce temps,Stanislas se morfond à Königsberg malgré le train princier que lui assureFrédéric-Guillaume. Le fol espoir de remonter sur le trône de Pologne le tenaille toujours. Il donne régulièrement des nouvelles à sa fille : « La grande science est d’attendre cette fin avec patience, en quoi je me rends plus parfait de jour en jour. Enfin ma chère et uniqueMarie, il faut que la chèvre broute où elle est attachée. » Il s’imagine que la guerre victorieuse menée par la France couronnera ses vœux. En attendant, il philosophe et rédige un texte justifiant la politique française à l’égard de la Pologne, persuadé que le roi de France, son gendre, se bat pour lui rendre son royaume. Il en écrit un autre dénonçant les conflits internes de ses compatriotes qui intriguaient contre lui. Des réfugiés polonais l’ont rejoint et flattent ses espérances. Il est ainsi tombé amoureux de la
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