Le temps des poisons

au-dessus de la loi, et cela inclut Lord Henry Beau- champ. Je vous prie, Kathryn, d'enquêter là-dessus par n'importe quel moyen, mais avec discrétion.
    —
    Lord Henry le sait-il ?
    Alors que Colum ouvrait la bouche pour répondre il s'interrompit, pour prêter l'oreille au fracas d'épées qui montait de la lice de l'autre côté du manoir.

    —
    Je l'ai croisé hier soir après que vous eûtes quitté la table. Il a fait allusion à une certaine froideur de la part du roi et m'a demandé si j'en connaissais la raison. Bien entendu, je me suis contenté de hausser les épaules et d'en rire.
    —
    Pourtant si j'enquête, insista Kathryn, il voudra, tôt ou tard, savoir pourquoi.
    —
    De toute façon, rétorqua Murtagh, il l'apprendra, tôt ou tard.
    —
    Est-il aimé dans le pays ? interrogea Kathryn. S'il est venu ici il y a des années pour pendre les parents, les frères et sœurs aînés des villageois de Walmer, n'y a-t-il pas une dette de sang entre lui et certains de ses métayers ?
    S'appuyant contre son mari, elle ôta sa botte et compta les petits cailloux qui s'y étaient logés.
    —
    Les naufrageurs venaient du village tout comme des fermes des alentours, répondit Murtagh. C'étaient des forbans, hommes et femmes, responsables de la perte d'au moins une douzaine de navires et du trépas d'une centaine d'âmes. Ces hors-la-loi éveillaient fort peu de commisération. Walmer est à présent serein. Il y a eu de petites querelles, des meurtres occasionnels et des accès de violence, mais Lord Henry semble plutôt aimé et respecté, surtout par les dames.
    —
    Y a-t-il autre chose ? Pourquoi Lord Henry vous a-t-il appelé, Colum ?
    —
    Eh bien, parce que si je venais, vous deviez venir aussi, expliqua Murtagh avec un grand sourire.

    —
    Vous êtes un compagnon de Lord Henry, n'est-ce pas ?
    —
    Nous sommes venus ici juste après la guerre, avant que je m'installe à Cantorbéry pour m'occuper des écuries royales et rencontrer un certain médecin.
    Kathryn ramassa une cerise tombée et la lui jeta. Preste, Colum se baissa pour l'éviter.
    —
    Après la bataille de Tewkesbury, expliqua-t-il, les rebelles lancastriens se sont enfuis dans tout le royaume, au nord, au pays de Galles, en Cornouailles. Quelques-uns décidèrent de gagner le Kent et ses nombreux ports afin d'embarquer pour les Pays-Bas ou la France. Le roi divisa certaines de ses meilleures troupes en détachements, chacun sous la conduite d'un de ses lieutenants. Lord Henry reçut mandat de fouiller les bois du Kent pour dénicher tout fuyard lancastrien ; je faisais partie de sa troupe. Nous avons pourchassé les ennemis. Ceux qui résistaient étaient abattus là où ils se trouvaient. D'autres se rendaient et, sauf s'ils étaient sur la liste de la mort civile, étaient désarmés et pouvaient regagner leurs foyers.
    « Nous avons entendu parler d'un groupe qui se serait réfugié sur la côte près de Walmer. Lord Henry s'est lancé à sa poursuite. Il s'agissait de quelques archers et soldats qui décidèrent de se battre mais nous les avons vite dispersés. En fin de compte, nous avons traqué le chef et deux archers. On nous prévint qu'ils avaient atteint Walmer et voulaient se réfugier dans l'église s'ils ne pouvaient trouver un bateau. Nous avons continué la poursuite. Mais, avant que nous soyons arrivés ici, les villageois, afin de montrer leur loyauté au roi et à Lord Henry, avaient occis les trois hommes. Il semble que ces derniers étaient arrivés à l'enceinte du cimetière et qu'ils ont été attaqués par les habitants, qui les ont taillés en pièces à coups de hache, les ont dévêtus et ont jeté leurs dépouilles sur les marches de la croix du marché. Bien entendu, Lord Henry n'avait pas le choix : il devait soutenir les villageois, les féliciter pour leur fidélité et ordonner le rapide enterrement des cadavres dans le coin réservé aux miséreux du cimetière de Saint-Swithun. Je ne sais rien d'autre, ajouta Colum en levant les mains.
    Kathryn regagna son siège et s'y installa, les mains dans son giron.
    Son mari la rejoignit.
    —
    A quoi pensez-vous ?
    —
    Je pense, Irlandais, que vous devriez aller vous laver, vous raser et vous changer. Car je suis certaine que Lord Henry voudra très bientôt voir les émissaires français.
    —
    Viendrez-vous vous reposer avec moi ?
    Kathryn le repoussa avec douceur et lui adressa un sourire malicieux.
    —
    Je suis encore épuisée par la nuit dernière.