Le temps des poisons
les hostilités et entrer en guerre ? Enverra-t-il ses troupes écumer bourgs et villes de son royaume pour appréhender tous ceux qui sont à la solde d'Edouard d'Angleterre ?
—
Alors, qui a demandé ces pourparlers ? Édouard ou Louis ?
—
En fait, c'est surtout l'idée de Lord Henry. Il a dépêché des messagers en France pour savoir si le roi serait disposé à négocier la trêve au manoir de Walmer, un lieu peu officiel. Il a insisté pour que nos trois goupils soient présents. Louis croit Lord Henry fort soucieux et, voulant profiter de la situation, les a envoyés ici.
—
Que pense découvrir Lord Henry ? Si Louis signera un nouveau traité de paix, ce qui est arrivé à Marshall, ou ce qu'il en est du livre des codes ?
—
Pourquoi pas les trois ? répondit Colum.
—
Louis ou ses sbires ont-ils pu occire Marshall ?
—
C'est possible, mais, dit l'Irlandais en écartant les liras, c'était un émissaire accrédité. Les souverains s'engagent par serment solennel à considérer ces gens- là comme sacro-saints. Si nous pouvions prouver que Louis a ourdi le trépas de Marshall, ou en avait connaissance, il serait montré du doigt dans toute l'Europe. Il se pourrait même que le pape l'excommunie. Plus personne ne lui ferait confiance. Qui oserait alors lui déléguer des ambassadeurs ? Non, il semble que Marshall et son recueil ont tout simplement disparu : c'est un point sur lequel Lord Henry veut faire la lumière avec nos visiteurs français.
—
Qu'en est-il de Lord Henry lui-même ? voulut savoir Kathryn. Il est plutôt affable mais très réservé.
—
Je me demandais quand vous aborderiez cette question, observa Colum en passant son bras sur ses épaules. Vous avez l'œil perçant, ma mie, et avez pressenti qu'il y avait là un mystère.
Il s'interrompit, le temps de rassembler ses idées.
—
Lord Henry est le fils d'un propriétaire terrien de la contrée. Son père l'a envoyé à Cambridge où il s'est révélé brillant étudiant et clerc des plus subtils. On lui a donné un poste à l'Échiquier et, un an plus tard, il a été transféré à la Chancellerie, le grand office des écritures du palais de Westminster. Il a aussi fait ses preuves en tant que combattant. Or le frère aîné de Lord Henry, Maurice, était marchand.
Il possédait une cogghe, le Saint Ange, qui mouillait à Gravesend et naviguait dans les eaux du Nord. Voilà quelques années, le long de cette côte, des naufrageurs attiraient les bateaux sur les rochers à l'aide de fanaux et de lumières trompeuses afin de pouvoir piller les cargaisons. Le Saint Ange fut l'un des navires ainsi éventrés.
L'équipage fut soit noyé soit tué et le fret volé. Lord Henry était fou de rage. Sa bravoure lors de la bataille de Mortimer's Cross avait déjà retenu l'attention d'Édouard d'York à l'époque. Il devint l'ami intime de notre jeune roi. Henry voulait se venger et Edouard lui donna son accord. Des édits, autorisant Lord Henry à pourchasser les naufrageurs de Walmer, furent promulgués. Il fut impitoyable. Il fit ériger un gibet à six branches sur la falaise - appelée à présent Gallows Point - et se mit à poursuivre les hors-la-loi, les assassins de son frère. Il finit par les capturer. C'était une bande d'environ vingt-quatre hommes et femmes. Quelques-uns étaient apparentés aux villageois actuels. Lord Henry avait tout pouvoir d'Oyer et Terminer3. Sa justice fut rapide et brutale. Les vingt-quatre coquins furent déclarés coupables et condamnés à la pendaison. Lord Henry organisa en personne les exécutions par fournées de six. Puis il fit construire des gibets de fortune autour du grand échafaud. En guise d'avertissement à tous les naufrageurs potentiels, les corps des malandrins furent enduits de goudron et restèrent pendus, enchaînés, jusqu'à ce qu'ils pourrissent. Par la suite, les navires croisant dans ces parages ne furent plus jamais inquiétés. Lord Henry devint l'homme d'Edouard d'York, corps et âme. Il se battit à ses côtés bataille après bataille, protégeant ses arrières et lui sauvant même la vie une fois. Quand la fortune ne souriait pas au prince, il en allait de même pour Lord Henry. Quand Édouard d'York fut exilé, Lord Henry le suivit. Il y a à peu près deux ans, le prince décida de régler une fois pour toutes son différend avec la maison de Lancastre. Vous savez cela. Votre premier mari, Alexander Wyville, rejoignit les troupes lancastriennes qui
Weitere Kostenlose Bücher