Le temps des poisons
sûr que non ! répondit ce dernier en renvoyant le garde.
—
Qu'en est-il des fenêtres ? continua la jeune femme.
—
Elles sont garnies de verre et trop étroites pour laisser passer un homme.
—
Quant au petit sac de poudre trouvé près du pichet, il ne contenait que de la valériane, une potion qui aurait pu le détendre et l'endormir, mais pas du tout arrêter le cœur.
—
Que voulez-vous dire, Maîtresse Swinbrooke ? demanda Sanglier, tout courtoisie à présent, bien qu'il la fixât avec curiosité.
—
Messire le vicomte, je rappelle l'évidence. M. Delacroix quitte la grand-salle. Il est en train de boire du vin non pollué, sinon il en aurait senti les effets dans l'escalier. Le fait de marcher ou de monter accélère souvent l'action du poison. Il tend au garde son gobelet et, en plaisantant à moitié, lui suggère d'y goûter. Delacroix redoutait donc sans nul doute un empoisonnement. Vous avez entendu évoquer les événements qui se sont déroulés au village, je pense ?
— Bien entendu, aboya Cavignac, ainsi que le trépas de cette vieille femme.
— Donc, reprit Kathryn d'un ton ferme et sans tenir compte de l'interruption du clerc, Delacroix, une fois dans sa chambre, a dû prendre son sachet de valériane et en a versé un peu dans sa coupe.
Il voulait se reposer et dormir avant les festivités de ce soir. Il a bu ; il est mort, non de causes naturelles mais victime d'un violent poison, aussi mortel que le venin de la vipère. Il ne restait pas beaucoup de vin. Je pense qu'il a avalé une bonne rasade, peut-être même s'est-il endormi quand le poison a fait effet, aussi n'a-t-il pas pu appeler à l'aide. Le toxique, surtout administré à cette dose, a dû...
Elle s'interrompit.
—
Oui, c'est comme un feu lui embrasant le corps et provoquant une attaque au cœur, l'impossibilité de respirer, puis une pâmoison.
Elle baissa les yeux sur le plat d'argent à filet d'or ; des quatre côtés une pierre précieuse scintillait.
—
Quelqu'un parmi vous a-t-il rendu visite à Delacroix aujourd'hui ?
questionna-t-elle.
— Oui, nous deux, s'empressa de répondre le vicomte. Que voulez-vous insinuer ?
— Rien.
La jeune femme se tourna vers Lord Henry.
— Pourriez-vous demander à votre garde de revenir ?
Le seigneur acquiesça et le chambellan ramena
l'écuyer. Devant les questions de Kathryn, il fut très clair : il avait monté la garde une heure avant midi et n'était parti que lorsqu'il avait pensé que le Français allait rejoindre ses compagnons pour banqueter.
— Vous savez que j'étais là, dit-il en adressant un signe de tête à Sanglier. Vous êtes venu frapper à sa porte. Il n'y a pas eu de réponse. Vous avez expliqué qu'il dormait et avez continué votre chemin pour aller festoyer.
—
Et l'un de ces deux seigneurs, s'enquit Kathryn en désignant les Français, s'est-il rendu chez Delacroix après qu'il eut rapporté son gobelet de vin de la grand- salle ?
— Non, non.
—
Nous nous préparions, nous aussi, intervint Cavignac. Comme Delacroix, nous nous sommes délassés, changés et lavés. Ensuite, nous sommes descendus. Nous avons toqué à l'huis de Delacroix mais personne n'a répondu. Nous avons cru qu'il s'était endormi et qu'il ne tarderait pas à nous suivre.
Kathryn remercia l'écuyer et Lord Henry le congédia. La jeune femme examina une tapisserie qui dépeignait la Passion du Christ. Sur un bandeau, au-dessous, était écrit : « Expectans, Expectavi, Dominum. »
Elle reconnut une citation tirée du psaume 39 : « J'ai attendu mon Seigneur avec patience et II a tourné les yeux vers moi. » Elle ferma un instant les paupières et pria pour qu'il la guide.
Sanglier reprit l'initiative.
—
C'est un vrai mystère. Nous sommes là, émissaires français dans le royaume d'Edouard le Quatrième, et pourtant nous sommes en danger.
—
Absurde ! s'exclama Lord Henry.
—
Oui, nous sommes en danger, renchérit Cavignac. Or nous avons été dépêchés ici en tant qu'envoyés. Delacroix était notre ami. Et voilà qu'il est vilement empoisonné. N'est-il pas vrai, Monseigneur, que certains de vos villageois l'ont été aussi ?
—
Voulez-vous dire que le même tueur erre en ce manoir ? rétorqua Lord Henry. C'est ridicule ! Vous n'avez nulle preuve pour imputer le trépas de Delacroix à un Anglais.
Sanglier eut un sourire faux.
—
Suggérez-vous que ce meurtre peut être mis à mon compte, à celui de Cavignac, ou à notre
Weitere Kostenlose Bücher