Le temps des poisons
et à présent grand-mère Croul, dont il ne restait que quelques os carbonisés dans sa chaumine qui n'était plus que cendres...
« La peau et les os », avait plaisanté Walter le sergent.
Le père Clement avait fait de son mieux. Il avait enveloppé les restes dans un linge blanc, les avait bénis et encensés, mais à quoi bon ?
Grand-mère Croul était morte et Simon en était presque soulagé. La vieil e commère avait l'œil vif et la langue acérée ; elle était peut-être au courant de ses plaisirs secrets.
Simon mordit dans la tourte. La viande était tendre, la saveur généreuse et épicée. Il mâcha avec soin en pensant - c'est ce qu'on disait au Sanglier bleu et au Cygne d'argent - « Attention à ce que tu manges, attention à ce que tu bois ». Il mordit derechef et entendit un rire. Il se figea, avala sa bouchée et avança en rampant sur le ventre comme un goupil en maraude. Il leva la tête et aperçut Ralph qui conduisait Alison par la main. Ils avaient escaladé le mur et se dirigeaient vers leur nid d'amour accoutumé. Ralph portait ce qui semblait être une gourde et elle un balluchon blanc contenant sans doute du pain et du fromage. Simon ravala sa déception : cela signifiait qu'ils commenceraient par se restaurer.
Les amoureux parvinrent à l'endroit où il y avait une déclivité, ce qui donnait à Simon un très bon point de vue. Il les épia en retenant son souffle. Ils ouvrirent le balluchon blanc et se mirent à boire et à manger. Simon entendait des bribes de leur conversation et il dressa la tête. Ralph jouait avec les lacets du corsage d'Alison. Elle résista mais il se fit pressant. Simon posa la main sur son entrejambe. Ralph déshabillait son amie et faisait glisser sa robe sur ses épaules, révélant ainsi des seins opulents. Le bedeau regardait avec lascivité.
Alison riait, tête rejetée en arrière, boucles blondes retombant, quand Ralph la prit par la taille et l'attira vers lui. Puis elle s'abandonna.
Simon gémit de plaisir en oyant ses cris de volupté. Levant les yeux, il vit les jambes de la jouvencelle dressées en l'air, entendit Ralph haleter et geindre, et les exclamations de délice d'Alison. Peut- être pouvait-il s'approcher un peu plus près...
Il sentait le sang lui monter à la tête et se mit à transpirer. Il allait épier et attendre, et un jour, quand il en aurait envie, il convoquerait Alison au cimetière. Il lui narrerait ce dont il avait été témoin et elle devrait offrir une contrepartie à son silence. Le bedeau s'humecta les lèvres.
Ce genre de rencontres lui avait permis de connaître maintes bachelettes. Elles redoutaient toujours qu'on en parle à leurs parents ou qu'on les proclame dévergondées sous le porche de l'église ou à la croix du marché, aussi se soumettaient-elles à chaque fois ; la seule exception avait été Hawisa, cette garce à l'esprit dérangé. Simon savourait l'idée qu'un jour, bientôt, Maîtresse Alison se livrerait à une danse similaire pour lui. Il avait si souvent guetté des amants qu'il savait jusqu'où il pouvait s'approcher de ce nid d'amour. Il les regarda s'ébattre, Ralph avec passion, Alison lui répondant, puis ce fut fini.
Simon ouït le murmure de leurs voix, leurs tendres serments chuchotés, et il revint à sa place.
Il attendit un moment. Les amoureux ne s'attardaient jamais : il en fut de même ce jour-là. Il aperçut des éclairs de linge blanc tandis qu'Alison se rhabillait. Ralph se releva, rejeta ses longs cheveux en arrière et les attacha sur la nuque avec un cordon. Puis ils s'en allèrent. Simon, réjoui, se félicitait. Comme il avait aimé ça ! Il prit sa gourde et s'adossa à l'if. Les yeux fermés, il se remémora la scène, le plaisir qu'il avait ressenti, et il se demanda quand il inviterait Maîtresse Alison. Il la menacerait de tout dire à Walter le sergent, et si Simon le bedeau ne valait rien, Walter était pire.
Il déboucha sa gourde et la porta à ses lèvres. Il avait avalé deux ou trois gorgées quand il se rendit compte qu'il y avait quelque chose de bizarre, non dans le goût du vin mais dans la gourde. Il ne l'avait pas remarqué auparavant - la différence était minime. Horrifié, il baissa les yeux. Ce n'était pas sa propre gourde. Un élancement de douleur lui traversa le ventre. Il bondit sur ses pieds en serrant le récipient et se précipita vers le presbytère.
Tout en courant, Simon savait qu'il était trop tard. Son ventre était à
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