Le temps des poisons
répondit-elle en souriant. Ou, du moins, ce que je me disais. Comment quelqu'un peut-il entrer dans une chambre close, qui n'a qu'une petite fenêtre et pas de porte dérobée, et empoisonner le vin d'un clerc français plutôt méfiant ? Avez-vous trouvé une autre coupe chez lui ?
Colum fit un geste de dénégation.
—
Il semble que Delacroix ait été plutôt abstinent : il buvait du vin mais presque jamais quand il était seul.
Kathryn ferma les yeux.
—
Il doit, sans nul doute, y avoir un moyen de s'en sortir.
Elle se leva et, l'esprit ailleurs, ébouriffa les cheveux de son époux.
—
Venez, mon vagabond d'Irlandais. Il est temps de se coucher.
Elle lui donna une petite bourrade affectueuse.
—
Et tout en me déshabillant, vous pourrez citer les vers d'amour de Chaucer, tirés du Livre de la duchesse, sur mon cœur qui aspire à parler au vôtre et le vôtre qui désire parler au mien.
Colum repoussa sa chaire, attira Kathryn vers lui et l'embrassa avec tendresse sur le front. Elle appuya sa tête contre sa poitrine et passa les bras autour de sa taille. En apercevant le siège de Delacroix resté vide, le gobelet miroitant encore dans la lumière, la chaire poussée contre la table, elle se demanda ce qui avait bien pu se passer dans cette chambre. Qui avait expédié l'âme du Français devant Dieu ?
CHAPITRE VIII
« Ardent était et lubrique comme un bouc. »
Chaucer, Prologue général, Les Contes de Cantorbéry Dans les années à venir, les villageois de Walmer parleraient du Temps des Meurtres, quand la mort, ayant envahi leur bourg, y avait dressé son camp comme une armée ennemie. Elle avait fait voler la paix en éclats et avait tissé une trame de soupçons, de tromperies et d'horribles crimes dans laquelle la communauté s'était empêtrée.
Pourtant, ce matin-là, le lendemain du jour où la chaumière de grand-mère Croul avait été brûlée jusqu'aux fondations, Simon le bedeau ne pensait point à la mort mais bien plutôt à ses plaisirs secrets.
La matinée lui avait été propice : quelques petits nuages blancs, un soleil ardent et un ciel si bleu qu'on aurait pu croire l'été revenu.
Même la terre était chaude ; l'herbe haute, la guimauve et les ronces qui poussaient avec tant de luxuriance autour du vieil if lui procuraient encore un couvert suffisant. Simon était descendu au village. Il avait rempli sa gourde, acheté une tourte chez un boulanger et était venu au cimetière pour se distraire. Il savait que les amants, Maître Ralph et Alison, ne tarderaient pas à arriver. Cette dernière était l'une des jouvencelles les plus accortes et avenantes du village. Simon posa la main sur son entrejambe et se caressa. Il connaissait leurs habitudes.
Ils ne pourraient pas résister à une matinée comme celle-ci. Dès que ses parents seraient occupés, Ralph, qui était apprenti, se glisserait hors de l'échoppe pour rejoindre Alison.
La messe matinale avait été chantée, les ouailles s'étaient dispersées et l'arpent de Dieu, ce cimetière, allait retrouver son calme et tomber sous le charme des abeilles bourdonnantes et des papillons virevoltant tels des points colorés parmi les fleurs sauvages. Simon avait mené à bien son inspection habituelle. Le père Clement travaillait dans la crypte. Benedict le tabellion attendait une pratique pour signer un contrat près des fonts baptismaux. Ursula était au presbytère et Amabilia dans la sacristie. Elles ne viendraient pas ici.
Simon aimait cet endroit. Il savait toujours ce qui se passait au village, quel jouvenceau badinait avec quelle bachelette, et c'était là qu'il le découvrait. Il déboucha sa gourde et prit une gorgée qu'il fit tourner dans sa bouche avant de l'avaler afin d'atténuer l'irritation de ses gencives et la douleur due à une dent pourrie, au fond. Il mordit dans la tourte avec précaution.
« Il faut que je sois vigilant, avec tous ces meurtres », songea-t-il.
Il se redressa pour manger plus à son aise. Appuyé contre l'if, il prêtait une oreille distraite au chant d'une grive dans les branches au-dessus de sa tête. Il ne faisait pas de bruit, s'assurant toujours de ne rien déranger, de ne pas éveiller les soupçons. Il aurait aimé que Ralph et Alison viennent, mais, en attendant, il pouvait réfléchir aux événements
du
bourg.
Qui
était
derrière
ces
affreux
empoisonnements ? Elias et Isabella réduits à de la viande froide !
Adam l'apothicaire, le visage blême,
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