Le train de la mort
le guetteur antibombardements, antimitraillages. C’est Muller en personne qui m’a désigné ! Et tenez-vous bien, il n’y aura pas un « bahnof » lxxviii avec nous, mais deux.
— Ça doit être un chargement tout particulier.
Dorgny assure le volant. Le boggie avale l’intersection de l’aiguillage.
Pâques adresse un petit signe de la main au mécanicien.
— Salut !
Des sentinelles suivent la machine.
Dorgny tire la tringle du sifflet de la main gauche et, d’une pression de la droite, trouve le ralenti.
Là-bas, à vingt mètres, un cheminot allemand secoue le drapeau roulé dans sa gaine de cuir noir.
Régulateur fermé. Frein engagé. Bouffée de vapeur éclatant en tourbillon. Le manche du drapeau « à bas ». Contact. Les tampons absorbent le choc en crissant. La locomotive refoule le tronçon de la voie IV de moins d’un mètre.
La cabine d’aiguillage masque le rouge et bloque la position sur la voie de dégagement.
Le chef de gare Carpentier rentre dans son bureau. Merlin est assis près de la fenêtre.
— Vous avez vu ?
— Pas grand-chose… Il m’a semblé apercevoir Marcel Guérin…
Les deux hommes disent en même temps ;
— Si ce pouvait être le dernier !…
8 h 50 – Compiègne gare (wagon Guérin-Canac).
— Ouf !… Ça y est lxxix . Nous y sommes et j’ai la chance d’avoir conservé mes compagnons. Nous ne pouvons pas nous mouvoir et déjà de vagues disputes s’élèvent. Je me souviens à cet instant de l’inscription que porte notre wagon : « Quarante hommes, huit chevaux en long. » Décidément l’armée française était bien généreuse pour ses soldats !… Silence !…
— Dans mon groupe lxxx , l’un de nos camarades vêtu d’un bleu de travail lxxxi s’obstine à vouloir monter avec nous, alors que les sentinelles le repoussent, le prenant sûrement pour un cheminot de la gare. Le malheureux n’y comprend rien ; s’éloigne un peu, puis revient. Les Allemands se ravisent alors et l’embarquent définitivement avec nous… « Les salauds, on va tous crever là ! » s’est écrié l’un de nous. Mais un docteur nous dit : « Il ne faut pas parler ! Remuez le moins possible ! » Nous promettons de l’écouter.
— J’avais lxxxii enveloppé la tige de la crémone dans une couverture roulée après lui avoir préalablement donné la forme d’un fer à cheval. Je cache le tout dans la paille de seigle qui jonche le plancher du wagon. Pendant la fouille je remets la lime à ongles achetée à la cantine de Royallieu.
8 h 55 – Compiègne gare.
Le chef de train, Frizon, précédé d’un gardien, franchit le dernier barrage de la halle aux marchandises. Son « guide » lui désigne la plate-forme aux mitrailleuses.
— Non ! Le fourgon de queue. Travail.
— Pas bouger.
Les soldats sur la plate-forme rient et gesticulent. L’interprète du convoi arrive au pas de course.
— Montez sur la plate-forme.
— Je ne peux pas, j’ai mon travail.
— Quel travail ?
— Si le train s’arrête, je dois aller placer un pétard sur la voie, à un kilomètre en arrière.
— Eh bien, que vous partiez de là ou du fourgon… Montez !
— Le règlement m’interdit…
— Le règlement c’est moi. Montez !
Il s’adresse en allemand aux soldats. L’un d’eux tend la main.
En voiture ! Montez !
Frizon pose son « panier » sur le plateau.
— Voilà !
9 h 5 – Compiègne gare.
Muller serre la main de l’officier S.D. Pâques lance, d’un geste lent, la 230 D sur la voie IV. De leur place, l’officier et Muller ne peuvent apercevoir la locomotive et la manœuvre du tronçon de la voie VI. Quarante gardiens se sont installés dans les vigies et les wagons d’escorte. Le cordon de sentinelles est rompu. Les hommes vont repartir vers Paris en camion.
— Sifflet.
Le tronçon de la voie IV double la partie du train restée à l’arrêt, dépasse l’aiguillage de cent mètres et revient en marche arrière pour se souder à sa seconde moitié. Muller ferme la portière du S.D., salue militairement (il est capitaine), Dorgny tourne le volant du régulateur. 9 h 15, le « 7909 » s’ébranle.
2 PREMIERS KILOMÈTRES
Wagon Rohmer.
— Le train lxxxiii roule lentement : « Ça manque de ressorts…», blague Nikis. Il n’y a pas une demi-heure que nous avons quitté Compiègne et déjà les jambes s’endorment, la courbature nous prend, on voudrait
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