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Le train de la mort

Le train de la mort

Titel: Le train de la mort Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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pouvoir se dégourdir les membres, la position recroquevillée est intolérable. Le soleil a percé les nuages et la chaleur commence à se faire sentir. Les uns se lèvent pour se débarrasser de leur veste ; quand ils veulent se rasseoir, la file a glissé et ils sont obligés de rester debout ; aussi des remarques aigres-douces sont lancées. Ceux qui sont debout voudraient être assis et inversement. Les visages se congestionnent, la sueur coule le long des tempes. Le professeur Vlès, assis derrière moi, est très calme, pourtant il sent venir la catastrophe et il voudrait l’éviter : « Prenez le commandement du wagon, je me sens trop vieux », me dit-il. Et moi, ne suis-je pas trop jeune ? Si encore nous étions tous de la même prison, où nous nous connaissions, même sans nous voir. Pour notre petit groupe du « 92 » lxxxiv , les autres sont des inconnus et de plus, il n’y a pas que des « politiques » parmi nous. Un certain nombre sont des « droit commun » et leurs têtes ne sont pas faites pour nous rassurer.
    — Prenant la parole, j’essaie de leur faire comprendre ce qui peut se passer. Je leur donne quelques conseils : une discipline stricte est indispensable, il faut que le peu d’eau que nous avons dans les gourdes soit réservé aux malades. Mon petit laïus semble porter : les discussions s’arrêtent. Le calme renaît. Le train roule lentement entre les voies bouleversées par les bombardements.
    Wagon Habermacher. La Perraudière.
    — Le train lxxxv s’ébranle. Mais faute d’orifices l’air ne circule qu’imperceptiblement, la chaleur continue à monter. On étouffe. Certains veulent boire. D’autres veulent qu’on ménage l’eau, il m’apparaît très vite qu’on va se disputer. J’élève la voix et je propose qu’on désigne un responsable du wagon qui décidera dans les « désaccords ». Comme presque toujours dans ces cas-là on me dit : « Bonne idée, charge-toi de ça ! »
    — C’est à ce moment que je réalise que je suis pratiquement au milieu d’inconnus. Dans un bout du wagon une quinzaine de camarades parlent espagnol ou catalan. Les âges de tous sont très divers. J’ai besoin d’être aidé, mais les deux seuls que je connais sont des jeunes de vingt ans à peine, ils n’auraient pas d’autorité. Par qui me faire aider ? Je demande que, pour chaque bout du wagon, on me désigne un homme qui se chargera de la distribution de l’eau, car c’est vrai, nous n’avons pas bu depuis la veille. Quelques-uns ont des quarts, on se les passe. On ne donnera qu'un quart par homme pour cette fois-ci. La distribution terminée, un des deux camarades qui a opéré la distribution me dit à voix basse ; « On en a donné cent dix-sept ! » Déjà de la resquille…
    — Le train s’est mis à rouler après une longue, longue attente. Et il ne va pas vite, s’arrête sans cesse. La chaleur de ce début de juillet monte terriblement Certains enlèvent des vêtements. Un vieil horloger parisien reste bardé de tout ce qu’il a apporté. « Je veux mourir dans mes habits ! » Je ne réalise pas encore, je m’exclame : « Pas question de mourir, voyons ! »
    — Pourtant la chaleur devient intolérable. Je me dis qu’il faut économiser mes forces et je m’asseois comme je peux, entre deux camarades. Mauvais calcul, sans doute. Est-ce l’air plus méphitique à cette hauteur, je sens vite la torpeur me gagner. En somnolant, je me laisse aller contre le camarade qui est derrière moi. Il me repousse durement à plusieurs reprises. Pourtant je ne peux arriver à garder le corps droit. Comment cela va-t-il finir ? Cette marche interminable, jusqu’à quand va-t-elle durer ? Sa lenteur même insinue dans l’âme cette désespérance de condamné à perpétuité. La chaleur monte toujours, la sueur nous baigne, nous étouffons. Oui, nous allons mourir là, mais au bout de combien de temps, mon Dieu ! Et après quelles souffrances !
    Wagon de 80 .
    — Les lxxxvi menaces résonnent encore dans nos oreilles – une tentative d’évasion : dix fusillés – une évasion : vingt fusillés… Est-ce la place que j’occupe qui m’incite à parler ? Il est incontestable que, debout sur la « tinette », je semble dominer la situation. Après m’être concerté avec Vigouroux, commissaire de police à Tarbes, nous essayons de raisonner nos camarades. Une entente intervient, pas d’évasions pendant le convoi, qui

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