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Le train de la mort

Le train de la mort

Titel: Le train de la mort Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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Mathieu près de la porte, parmi un groupe composé de patriotes… Le reste du wagon est composé de droit commun. Il commence à faire chaud. Nous nous mettons torse nu. L’un de nous propose de nous asseoir les uns dans les jambes des autres et de ne plus bouger ; mais une bonne trentaine sont obligés de rester debout faute de place. Nous convenons de nous relayer à tour de rôle et c’est à ce moment que le premier incident éclate. Un « malin » qui avait réussi à soustraire un canif à la fouille, se met en devoir de s’en servir pour tailler dans sa boule de pain. Un « dur » de la majorité qui l’aperçoit s’empresse, sans doute dans l’espoir d’obtenir une récompense d’alerter les Allemands sur le quai. C’est vite fait, les portières sont déplombées et ouvertes, on nous fait immédiatement évacuer le wagon qui est fouillé de fond en comble et nos vêtements jetés sur le quai. Suprême vacherie, ils enlèvent le baquet d’eau et la tinette…
    — Nous essayons de nous organiser le mieux possible. L’enlèvement de nos vêtements nous procure un supplément de place, mais tout le monde n’est pas assis. Il fait de plus en plus chaud. Le « dur » qui avait dénoncé le camarade au canif s’en prend à nous les « résistants », Ses camarades font de même, ils nous reprochent d’être la cause de l’enlèvement du tonnelet d’eau et la cause également de leur déportation en Allemagne. Ils nous disent qu’ils étaient bien dans les prisons françaises et qu’ils ne demandaient qu’à servir le Maréchal… Le ton et la tension montent. À l’aide de deux pantalons que nous balançons sous une lucarne non fermée, nous obtenons un peu d’air frais. Nous convenons de nous abstenir d’uriner. Un « dur » qui était debout se met en devoir « d’arroser » copieusement les camarades assis. D’autres l’imitent. Il ne pouvait en être autrement puisqu’il ne restait pas un mètre carré de surface inoccupé. Certains qui avaient mangé leur chair à saucisse commencent à avoir des coliques et se tordent. Ils font leurs « besoins » et tout le monde patauge. La chaleur aidant, l’air devient irrespirable. Une bagarre – la première – éclate. Des coups sérieux sont échangés, le sang coule, des blessés appellent à l’aide. Les Allemands rouvrent les portes, l’un avec sa mitraillette s’apprête à tirer dans le tas. Je me couche instinctivement et ferme les yeux. Non, il n’a pas tiré, mais plusieurs sont montés dans le wagon et nous ont consciencieusement frappés à coups de crosse.
    Le peu de temps que les portes ont été ouvertes nous a amené de l’air frais et a calmé les esprits.
    — Le train ne démarre toujours pas. Il fait de plus en plus chaud. Certains recommencent à s’énerver et crient « à boire » ; nous leur conseillons de se taire car, de l’extérieur, les Allemands pourraient tirer.
    7 h 50  – Compiègne.
    Camp de Royallieu.
    La troisième colonne piétine :
    — À lxxiv mes côtés, Houde et un petit sous-officier d’aviation. L’officier S.D., l’apercevant, vint à lui et je me souviens de ses paroles : « C’est du joli pour un sous-officier de l’armée française. Qu’est-ce que vous avez fait ? » et lui de répondre : « Moi… rien…» La vindicte éclate aussitôt : « Taisez-vous bandit… vous allez savoir ce qu’il en coûte d’être gaulliste. »
    — L’escorte est revenue et prend place, casquée, mitraillette sous le bras, grenades aux ceintures et dans les bottes, tout au long du dernier tronçon. Un moment d’attente. Deux sursis de départ arrivent. Deux hommes sortent et regagnent le camp A. Lentement le flot humain s’ébranle… Voici la rue de Paris, le quai de Narlay. Je guette… Verrai-je quelqu’un ?… J’aperçois le coin du pont et puis là-bas… oui, c’est elle ; c’est ma femme. Je la reconnais. Quel changement depuis mon arrestation. Courage ! Du côté gauche où je me trouve, je passe au côté droit afin de mieux la voir. Elle n’est pas seule. Deux de ses sœurs l’accompagnent. Je songe au tout petit qu’elle allaite. Je me raidis afin que rien ne trahisse mon émotion. Ça y est, je suis près d’elle… si l’on peut s’exprimer ainsi puisque quinze mètres au moins nous séparent et qu’il y a encore entre nous, l’escorte et ce gros feldwebel de la Kommandantur de Compiègne qui participa à mon arrestation…

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