Le train de la mort
entraîneraient certainement les sanctions promises. Par contre, quand nous serons arrivés à destination, ceux qui voudront tenter leur chance seront libres d’agir et nous les aiderons. Bientôt quelques camarades commencèrent à défaillir, les uns criaient : « J’étouffe ! », les autres : « J’ai soif ». J’ai particulièrement en mémoire Jardin fils qui ne pouvant plus se tenir sur ses jambes s’était accroupi et se mit à saigner du nez et des oreilles, atteint d’un commencement d’asphyxie. Plusieurs camarades réussirent à le soulever à hauteur de la lucarne, afin qu’il puisse respirer un peu d’air frais. Il revint doucement, mais resta bien pâle et bien faible pour le reste du voyage.
— À mon grand étonnement lxxxvii quelques-uns sortirent, dès le départ, ce qu’ils avaient réussi à dissimuler à nos gardiens malgré la fouille : couteaux, fourchettes et même une bonne scie à métaux. Et tout de suite certains ont commencé à parler d’évasion. Malheureusement les plus âgés n’étaient pas d’accord et nous ont empêchés d’essayer, disant que nous, les jeunes, pouvions sauter mais pas eux. Et ils craignaient les représailles dont nous avions été menacés.
Wagon Puyo.
— Depuis lxxxviii longtemps nous avons enlevé nos vestes, nos chemises ; nous n’avons pas faim, ne respirons pas. Impossible de s’asseoir. Tous veulent mettre leur bouche aux fissures. Le mécontentement commence ; il est impossible de satisfaire tout le monde. Il y a parmi nous des jeunes, des vieux, des jeunes qui n’ont plus le contrôle d’eux-mêmes, des hommes qui, prêts à la lutte, sentent qu’il va falloir éviter de mourir. Avec une peine inouïe, nous réussissons à nommer un chef de wagon : le capitaine Folliot ; je le connais car il était capitaine dans le régiment où j’étais sous-lieutenant ; il mourra en fin de soirée victime des efforts qu’il a prodigués pour essayer de sauver la situation. Il nous dit : « Si nous voulons rester des hommes et essayer de survivre, il faut que chacun d’entre nous pense à son voisin d’abord ; économisons nos forces ; ne bougeons pas ou le moins possible. Dès que la température s’abaissera nous respirerons mieux. Calmons-nous surtout et faisons de la place à ceux qui souffrent. » Il me demande de m’occuper de mon coin. C’était déjà un peu tard pour préparer dans le calme le soutien à ceux que l’asphyxie et la folie allaient atteindre. Malgré l’attitude énergique de quelques hommes, nous allions être vite dépassés par les dérèglements dont la folie seule est responsable et jamais l’égoïsme. Très vite dans le coin du capitaine Folliot, des hommes en vinrent aux mains ; des cris de bête féroce accompagnaient actions et gestes. Le capitaine Folliot et des camarades durent intervenir énergiquement. Déjà quelques camarades sont nus ; la sueur ruisselle sur nos visages. Nous sommes sales, nous n’avons plus aucune trace de cette distinction que nous cherchions à garder. Nos yeux s’enflent et deviennent troubles et nous ouvrons nos bouches. Que respirons-nous ? Un air qui déjà, depuis plus d’une heure, est vicié, innommable. À nous regarder les uns les autres, nous nous trouvons des visages d’hallucinés, des visages qui font peur, des visages qui sentent la folie, la folie qui vient, la folie qui est déjà là.
— Du fond du wagon, en moins de quelques secondes, par-dessus nos têtes, nous arrive un camarade que l’asphyxie déjà avancée rend fou ; il veut vivre et s’est jeté vers la fissure à deux mètres de moi. Pauvre garçon, il atterrit tout contre moi, écrasant un camarade à côté. Je veux l’aider à se relever et je reçois de lui un coup de poing magistral qui m’assied ; j’ai compris. Il se débat deux minutes et un flot de sang jaillit de son nez, son visage devient légèrement coloré, violet même, il n’est déjà plus de ce monde. Nous sommes atterrés car déjà nous voyons poindre la catastrophe. Avec les mêmes signes, deux autres camarades qui n’ont plus d’air à respirer tombent entre nos bras.
Wagon Sirvent.
— Il y a, contre tout espoir, des réactions humaines extraordinaires. Un ordre s’établit : les uns seraient debout pendant que les autres s’assiéraient sur l’ordre d’un chef, un docteur désigné qui, de son coin, donna quelques indications. Les plus malades, les vieux pourraient respirer de
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