Le train de la mort
chercher ?
— Pas possible. On attend le 7909.
— C’est justement pour ça… Il faut lui dire…
Le cheminot qui a trouvé, en gare de Vie, la lettre jetée par Robert Legros hésite… Si l’autre au bout du fil…
— Qui est à l’appareil ?
— H…
H… n’est pas « sûr ».
— Bon, ça ne fait rien… J’irai le voir ce soir.
10 h 5 – Soissons gare.
Lucien Bailly qui a envoyé le 7909 sur la voie VIII a reconnu à la lucarne la barbe noire de Robert Legros. Pas de sentinelles devant ce dernier wagon.
— Lucien ? Mon frère est à la gare ?
— Au poste 2. Je vais le chercher. Attrape cette bouteille.
Bailly va-t-il tenter de longer le train en avançant sur le quai au milieu des gardiens ? Non ! Ce serait trop risqué. Le train doit stationner dix à quinze minutes.
Il a le temps de passer derrière le dépôt nord, par le triage.
— Paul ?
Legros est au pied de la machine.
— Paul ! Vite. Ton frère…
Gorge nouée. Souffle coupé.
— Mon frère ?
— Il est dans le dernier wagon, en face de ma cabine. Par le triage il y a personne. Cours vite.
10 h 10 – Soissons gare.
— Non mesdames. Je ne permets pas.
— Mais ces hommes ont soif. De l’eau. Ça ira très vite. Il fait très chaud.
— Ces hommes ont de l’eau.
— Mais…
— Inutile de discuter.
L’officier S.D. est déjà sur la voie I. Les trois infirmières de la Croix-Rouge regagnent tristement leurs bidons pleins.
Tout à l’arrière de la rame, le chef de train Frizon se dégourdit les jambes en arpentant le quai. À chaque « aller retour » il allonge le parcours. Dans les poches de son bleu de chauffe : un morceau de pain, du sucre, une chopine d’eau.
Il dépasse la voiture d’escorte, baisse la tête ; deux pas un peu plus rapides.
— Les gars, les gars ?
La tête sourit, la main se tend…
C’est un Allemand qui saisit la bouteille et la brise sur la roue arrière.
— Interdit. Toi monter avec eux. Toi monter.
Il secoue le chef de train. Un servant de la mitrailleuse empoigne Frizon.
— Venir. Recommencer, partir avec eux. Moi enfermer toi wagon terroristes.
Ils rient.
Frizon ferme les yeux.
10 h 12 – Soissons gare.
Karl Bender, le chef de gare allemand – petit, grassouillet, cicatrice sur la joue gauche, lève son drapeau.
— Allons-y ! Tout le monde en voiture !
10 h 14 – Soissons gare.
Encore cinquante mètres. Paul Legros débouche sur les pavés du dépôt nord, coupe à travers la voie IV. Le train démarre. Deux soldats allemands sautent sur le marchepied du frein de queue. Trois mètres. Un soldat agite sa mitraillette. Des silhouettes aux lucarnes…
— Je xcvi n’ai pas osé crier. Ils auraient tiré sur moi. J’étais effondré. À quelques secondes près ! Je suis reparti chez moi abandonnant mon service, tellement surexcité que j’aurais pu faire un malheur.
En sortant de la gare, Paul Legros croise Louis Desongins.
— Je viens de ramasser sur la voie une plaque d’aluminium. C’est un prisonnier… Ça ne va pas ? Tu es tout blanc.
— Ça ira. Ça ira. Il y avait mon frère dans le train et je ne l’ai pas vu.
10 h 18 – Soissons, passage à niveau.
M me Obrier et Pierre Galand sont arrivés à temps aux barrières de la route de Reims. Sifflant, crachant, le 7909 apparaît derrière la maisonnette.
— Reculons, nous sommes trop près.
Des « oh oh » et soudain :
— Oh ! ouh !
— C’est Louis ! C’est Louis !
— Oh ! ouh !
Plate-forme. Fourgon de queue.
— Je ne l’ai pas vu. Je ne l’ai pas vu.
— Moi non plus.
— Mais c’était lui. Ce « oh ! ouh », personne d’autre que lui n’a pu le crier. C’est le ralliement de notre famille. Et c’était sa voix. Sa voix xcvii .
Wagon Rohmer.
— Les nerfs xcviii sont à fleur de peau et l’angoisse monte lentement. À l’autre bout du wagon, un camarade se trouve mal, pris d’une syncope banale ; ses voisins le passent de bras en bras et le hissent vers la lucarne ; on l’évente avec un chiffon. Il revient à lui, réclame de l’eau ; l’un lui tend sa gourde qu’il avait précieusement épargnée ; il boit avidement pendant que tous ceux qui sont autour de lui le regardent jalousement… sauf celui qui vient de sacrifier le peu d’eau qu’il avait. Quelques minutes après, un deuxième tombe en syncope. On répète la même manœuvre et il revient à lui. Ce
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