Le train de la mort
de la voie, pas très rassurés d’ailleurs. Ils rient jaune. Me haussant sur la pointe des pieds, je les contemple un instant par la petite ouverture grillagée. Mes camarades me chargent d‘écouter ce qu’ils disent puisque je connais l’allemand. Ce sont des jeunes en majorité… Ils se révéleront tout au long du trajet d’une brutalité sans égale. Pour l’instant, ils scrutent le ciel en se défilant de leur mieux. Puis, ils surveillent nos wagons, le fusil ou la mitraillette pointés sur nous. Si par hasard ces « terroristes » tentaient de s’évader. L’alerte passée, le convoi poursuit sa route avec une lenteur désespérante. Les voies sont coupées en maints endroits, les arrêts fréquents.
9 h 40 – Wagon de queue.
— Laisse-moi la place !
— Ta gueule.
— Je te dis de me laisser. Je suis du coin. On va passer à Vic-sur-Aisne. Je vais donner mon papier à un employé de la gare. Ils vont prévenir mon frère. Il travaille à la gare de Soissons. Si je pouvais le voir !
Robert Legros, grande barbe noire, moustaches épaisses, joue des épaules. Il reconnaît chaque buisson, chaque immeuble.
Il relit pour la centième fois peut-être le mot qu’il a griffonné au camp C, sur quelques centimètres de papier d’emballage :
« À Legros Paul – Gare de Soissons – cabine d’aiguillage.
Bien cher Paul.
Nous n’avons pas eu de chance le 3 avril. J’ai été pris dans une rafle ainsi que Marie-Louise xciii qui est arrivée au Fort de Romainville le 28 juin et moi à Compiègne le 29… Aujourd’hui 2 juillet nous partons pour l’Allemagne. Si tu le peux encore écris à Géo et dis-lui que tous ceux de Besse sont avec moi, M me Vailor est avec Marie-Louise.
Après quatre-vingt-un jours de prison à Clermont, nous avons eu bien faim…
Amitiés à tous et bons baisers à tous. Votre frère qui a encore de drôles de moments à passer. Robert. »
Paul Bion parle pour La première fois depuis le départ de Compiègne :
— Dis donc le barbu, puisque tu connais des gens à la prochaine gare, tu pourrais peut-être leur dire d’écrire chez nous.
— J’ai pas de papier. J’ai pas de crayon.
— Moi j’ai un crayon.
— Et le papier ? Sur le mien, plus de place…
Bion tend un carré de « papier de soie » :
— J’en garde toujours au cas où…
— Donne !
Legros se laisse glisser entre les jambes de Bion. Il écrit :
— « Paul, si tu le peux, fais un mot à ces adresses, en disant le départ pour l’Allemagne de ces maris qui vont très bien et ont bon espoir de revenir bientôt xciv . »
Legros se relève péniblement.
— Encore deux virages et on arrive.
9 h 45 – Pernant.
Le train ralentit pour aborder le passage à niveau. L’adjudant de gendarmerie Desmet attend près du portillon.
— Ce sont des déportés de Compiègne !
Un paquet tombe aux pieds d’Yvette Belot la garde-barrière. Elle recule d’un mètre. Desmet aperçoit le bras glissé à travers les barbelés. Un homme crie. Dans la vigie, l’Allemand hurle. Des dizaines de morceaux de papier battent des ailes. La garde-barrière recule encore :
— Ne bougez surtout pas. Ils peuvent tirer. On verra après.
Après… Desmet et la garde-barrière ramassent quatre-vingt-six « lettres » et un paquet contenant une somme importante en billets. Les gendarmes de la Brigade expédieront, dans l’après-midi, de différents bureaux de postes, lettres et paquet xcv .
9 h 50 – Soissons gare.
M me Obrier et Pierre Galand sont refoulés à l’entrée principale.
— Ne nous énervons pas. Le train n’est pas encore là.
Toutes les issues de la gare sont gardées par la gendarmerie allemande. L’infirmière, à chaque poste, tend sa carte de la Croix-Rouge. Une sentinelle accepte enfin « d’aller voir » le chef du détachement. Deux minutes plus tard la réponse est rendue :
— Les membres de la Croix-Rouge autorisés sont déjà sur le quai. Votre nom ne figure pas sur la liste. Nous regrettons.
M me Obrier saisit le bras de Pierre Galand.
— Nous avons peut-être une chance encore. À la sortie de Soissons, presque tous les trains s’arrêtent au passage à niveau.
9 h 50 – Vic-sur-Aisne, gare.
— Allô Soissons ? C’est Vie au téléphone. Je voudrais parler à Paul Legros…
— C’est pas possible… le téléphone est coupé depuis le sabotage, avec les postes d’aiguillage.
— On peut le
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