Le train de la mort
1945.
11 h 20 – Saint-Brice.
Une vingtaine de gendarmes allemands, venus de Reims, cernent « l’entonnoir » de l’explosion. Une cinquantaine d’autres, déployés en « tirailleurs », partent à l’assaut de la campagne.
Camille Démoulin, le premier cantonnier « retrouvé » par le chef V.B. de la gare de Reims est, cinq minutes plus tard, rejoint par l’équipe « d’astreints à résidence » cv de Jules Bardin.
— C’est vous le responsable ?
— Jules Bardin ne comprend pas immédiatement. L’Allemand dégaine.
— C’est vous le responsable ?
— Oui c’est moi !
Vous êtes considéré comme otage. Avancez !
Jules Bardin pose sa pelle.
— Nous allons suivre la voie. Je vous conseille de bien examiner l’état des rails. Si quelque chose ne va pas quand nous repartirons, vous en serez responsable. Vous serez fusillé.
— J’ai eu deux frères tués à la guerre, en 14 ; j’ai moi-même été blessé ; j’ai cinquante-deux ans…
— C’est ça la guerre monsieur. Des guerres propres, sans terroristes.
Et l’Allemand appuie le canon de son revolver sur la tempe du chef cantonnier.
— Au moindre geste. Au moindre mot…
11 h 20 – Reims gare .
Le centre d’accueil de la Croix-Rouge, qui occupe plusieurs baraquements dans la gare marchandises de Reims, s’affole. Des cheminots ont parlé de déraillement ou de bombardement… une seule chose est certaine : à moins de quatre kilomètres, des hommes sont morts, d’autres meurent peut-être.
— Il faut y aller !
— Mais tout est prêt, ici, pour les recevoir.
— Vous avez entendu ce qu’ont dit tous les cheminots – même s’ils ne sont pas d’accord sur l’origine de l’accident – les prisonniers ont soif… ils meurent littéralement de soif. Il faut y aller !
— Comment ?
— À pied. Avec des brocs.
— Vous préviendrez M lle Pierre, M me Chatalain, le Dr Bouvier ?
— Pas pour le moment. Lorsque nous aurons des informations. La permanence devrait être capable de régler ce problème.
Trois infirmières et quatre jeunes secouristes quittent la gare marchandises pour Saint-Brice.
11 h 20 – Saint-Brice (wagon Fully-Thomas).
Dans ce wagon, la mésentente s’était installée dès rembarquement de Compiègne :
— Les premiers cvi montés avaient pris leurs aises relativement et s’étaient assis, obligeant les derniers rentrés à se tenir debout. Ce fut l’origine et le signal des discussions, disputes, cris, vociférations, voire même de bourrades et de coups. Chacun voulait être assis, et l’on invoquait son grand âge, sa mauvaise santé, un malaise passager, une infirmité quelconque pour s’asseoir ou demeurer assis. Les deux moitiés du wagon s’invectivaient réciproquement ; chacun prétendant que celle qui lui faisait face était beaucoup moins serrée que l’autre. Et les discussions s’éternisaient. Il eût fallu compter les hommes et en répartir cinquante de chaque côté, mais la chose était impossible. Il y avait malheureusement parmi nous une majorité de « droit commun », individus de sac et de corde, devant une minorité civilisée d’authentiques Résistants. On ne put leur faire entendre raison et encore moins faire régner un semblant de discipline qui, pourtant, nous eût sauvés ou qui eût limité les pertes. Avec un peu de bonne volonté, nous aurions pu nous aligner correctement et utiliser le mieux possible le peu de place qui nous était dévolu. Ceci ne put être réalisé. Avant même que le convoi s’ébranle, les conditions du voyage s’annonçaient fort mauvaises pour nous.
Avec les secousses et le ballottement du train, chacun avait fini par se caser tant bien que mal…
— J’étais adossé dans la glissière de la porte. Barrois entre mes jambes qui lui faisaient office d’accoudoir. Le soleil dardait ses rayons sur le toit recouvert de papier goudronné. Deux vasistas sur quatre étaient ouverts, La chaleur devint étouffante et le manque d’air se fit bientôt sentir… La conséquence immédiate fut une soif ardente de tous. Nous avions un tonneau d’eau et on décida de distribuer, séance tenante, un quart à chacun. Avec un quart de soldat, un homme puisait dans le bac et vidait le contenu dans l’objet qui lui était tendu, gamelle, boîte de conserve. L’opération s’effectuait lentement. Le distributeur comptait tout haut le nombre de quarts qu’il donnait ;
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