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Le train de la mort

Le train de la mort

Titel: Le train de la mort Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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chacun vérifiait que les destinataires ne perçoivent l’eau qu’une fois. Et cependant il fut distribué cent trois quarts, personne ne put établir l’identité des trois rusés fraudeurs. Mais la soif appelle la soif… à peine le premier quart était-il bu que l’on en réclamait déjà un second. La chaleur augmentait de plus en plus dans cette boîte de bois et le manque d’air nous suffoquait. La respiration commençait à se faire courte et haletante… Il y eut encore des disputes et des cris pourra voir si l’on devait toucher un second quart d’eau. L’absence de discipline nous fut encore une fois défavorable. En criant ainsi, la soif augmentait. Finalement quelques hommes se trouvant auprès du tonneau plongèrent leur quart dedans ; ce fut le déclenchement d’une tempête de cris. Ils prétendaient, pour se disculper, que les Allemands n’étaient pas des barbares, qu’ils rempliraient à nouveau le baquet si l’eau venait à manquer. Pour mettre tout le monde d’accord et rétablir l’égalité entre tous, il fallait procéder à une deuxième distribution. Celle-ci terminée, on en continua une troisième jusqu’à épuisement. Il n’y avait maintenant aucune possibilité de se désaltérer.
    — La situation devint tragique. Un homme, qui se tenait debout contre la paroi du wagon, s’effondra évanoui, C’était le premier. Les uns après les autres, nous perdions nos facultés et nos forces. Il nous devenait extrêmement difficile de faire un mouvement. Nos membres étaient déjà ankylosés et l’asphyxie commençait à faire son œuvre. Nous restions impuissants à soigner les camarades évanouis.
    Jacques Remaury a eu le bras droit déchiré par la pointe d’une baïonnette sur le quai de Compiègne. Il constate avec inquiétude que sa blessure enfle et qu’il pourra difficilement se défendre s’il est attaqué.
    — Faudra-t-il cvii avoir recours à la force ?… Nous voyons quelques camarades devenus subitement fous se précipiter les uns sur les autres et se frapper à mort. Un grand brun, genre gitan, se dresse, une bouteille à la main. Barcos le voit s’avancer menaçant. Un terrible coup de poing le fait chanceler ; le gitan est par terre, assommé. La peur me saisit alors et je m’allonge tout contre la glissière de la porte du wagon. Là, avec Muiez et Lavigne, nous tirons sur nous des cadavres de camarades. Ainsi protégés, nous allons vivre des heures terribles, piétinés par des codétenus qui tombent sur nous. C’est alors que j’ai cherché un secours dans la prière. Par moments, j’entends des bruits sourds : ce sont des camarades qui se jettent la tête en avant sur les parois des wagons.
    — À un moment, j’entends un cri rauque, suivi d’un hurlement affreux. Je hasarde un regard entre les corps allongés et je vois une tête pleine de sang avec une oreille en moins. C’est un codétenu qui vient de sectionner l’oreille de son voisin. Mulez qui est athée, me dit : « Je ne sais pas prier. Toi qui sais, fais une prière pour moi. Je crois que nous sommes foutus. » Je replonge sous mon mur de cadavres. L’un d’eux se vide sur moi. « Mon Dieu ! »
    Certains cviii ne réagissent déjà presque plus. À un mètre devant moi, un grand individu à lunettes est allongé de tout son long, sur les jambes de ses voisins.
    — Tu ne peux pas te tenir comme les autres, non ?
    Mais lui ne réagit pas… Entre ses lèvres convulsées, s’échappe une plainte qui ne s’arrête plus.
    — Ne me laissez pas mourir ! Ne me laissez pas mourir !
    Un cri vient de jeter l’effroi parmi nous.
    — Mon frère est mort ! Mon frère est mort !
    C’est un Hollandais qui hurle, les yeux fous, l’air absent, en tenant dans ses mains la tête violacée de son frère qui vient de mourir à côté de lui, asphyxié… C’est affreux. Je n’ose pas regarder. Il me semble que je vais devenir fou.
    Il est presque impossible de respirer maintenant, on se croirait dans une étuve. Et c’est un vent de folie qui se déchaîne. Je ne sais plus ce qui s’est produit… Je n’ai vu que les hommes se précipiter les uns sur les autres… une bagarre infernale se déchaîner, des coups sourds… des râles… du sang…
    Je sentais le bout de mes doigts qui se paralysaient et je les voyais qui devenaient violets. Je sentais mon cœur qui battait à un rythme fou, mes poumons qui ne voulaient plus se dilater… Je ne pouvais pas

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