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Le train de la mort

Le train de la mort

Titel: Le train de la mort Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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distingue d’énormes entonnoirs au bord de la voie, ainsi que de longs tronçons de rails que l’explosion a projetés dans les arbres. Plus loin, c’est une masse informe de wagons écrasés, pulvérisés, amoncelés les uns sur les autres.
    15 h 20  – Reims. Aiguillage du dépôt de Betheny.
    Jean Hauller réduit encore la vitesse. Le convoi débouche sur l’aiguillage. Le mécanicien ouvre légèrement le volant. Le boggie de la 230 D prend la nouvelle section du rail de Châlons. Dans sa cabine, l’aiguilleur rabat violemment le levier de commande. Les câbles de transmission se tendent, vibrent. La portion mobile de l’aiguillage pivote lentement. La première roue motrice de la machine bat le vide, mais la gorge retrouve le fer sur lequel elle devait s’engager. Léger tangage que ne perçoivent ni Hauller ni Mulette. L’aiguilleur, déjà, remet en place le levier. La deuxième paire de roues motrices est elle aussi « passée » mais le balancement s’accentue. Dernière paire : étincelles. Les deux roues de « un mètre sept cent cinquante » s’appuient sur un millimètre de rail, glissent, dérapent, s’affaissent. Une traverse éclate. Les aiguilles claquent en se soudant à la voie qu’elles ont quittée deux secondes auparavant au passage du bogie. Les roues arrière de la 230 D labourent le ballast. Hauller et Mulette cahotés, agrippent le tablier, la main courante.
    Le tender et les wagons, d’une poussée, font sauter une seconde traverse aux roues déraillées. Les tampons absorbent les premières vibrations puis répercutent en cascade toute l’énergie emmagasinée par le choc. Le tender déséquilibré, écartelé par la machine et le convoi, s’abat sur la voie. Le boggie de la locomotive se bloque contre une traverse. Les roues du tender, enfouies, n’ont pas assez de force pour sauter la traverse. Hauller a « envoyé » les freins. Les boyaux se gonflent tout au long du train. Le 7909 est stoppé et aucune coupure de voie n’est apparente. La 230 D et son tender, pattes tremblantes, se drapent de vapeur. La glissade de dix mètres a peut-être duré deux secondes. L’aiguilleur accourt en agitant les bras.
    Une rumeur sourde, imperceptible dans l’instant, résonne, se répand, comme les soupirs de la vapeur.
    Mulette et Hauller ont plongé sous la machine. Des bottes, des brodequins les encerclent ;
    — Sabotage !
    « Sabotage » sur tous les tons.
    Les visages casqués se penchent, descendent au niveau des meurtrissures.
    Hauller et Mulette se redressent.
    — Responsable ? Qui est responsable ?
    Son visage n’est qu’une bouche.
    Éructation et postillons.
    Le casque s’efface derrière la casquette de l’officier S.D.
    — C’est un sabotage.
    L’aiguilleur s’interpose.
    — C’est moi qui ai envoyé la voie. Regardez vous-même. Tout est en place. Mais regardez là, à deux mètres, et là sous le tender, ces affaissements. Ça c’est les bombes. Il y a des trous partout. On a fait du rafistolage pour que les trains passent. Et il en passe des trains ! Voilà le résultat !
    — On va examiner l’aiguillage.
    — Examinez ! Examinez ! D’ailleurs le chef de gare vous dira quand il aura vu. C’est simple. Pas de coupure. Heureusement que l’aiguillage n’a pas glissé pendant le déraillement, sans ça, moi, j’étais bon.
    Hauller vient de comprendre. Il pense : « Qu’il se taise ! Il en fait trop ! » – « J’interviens ? »..
    — C’est pas tout. Je peux vous dire que j’ai senti la machine s’enfoncer. Donc il y a eu affaissement. C’est normal ! Tout le terrain a été ébranlé par les bombes. Il faut en sortir maintenant.
    L’officier se penche.
    — Combien de temps pour repartir ?
    Mulette ferme les yeux et après un long silence :
    — On ne pourra pas relever avant deux bonnes heures.
    — Deux heures, ce n’est pas possible. Je vais téléphoner.
    — Il faut aller au dépôt. Ce n’est pas très loin.
    — Allons-y ! Venez avec moi.
    — Je ne peux pas. On va manœuvrer. Mon camarade va vous accompagner.
    L’officier et le chauffeur partent à pied.
    — Il faut trouver une autre machine ; laisser celle-là…
    — Même si vous obtenez une autre machine, il faudra attendre que la voie soit libre. Depuis le bombardement nous n’avons pas d’autre sortie sur Châlons.
    — On peut contourner ?
    — Ah ! ça je ne sais pas. Il faut voir avec M. Richter.
    15 h 20

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