Le train de la mort
lle Pierre charge une infirmière de guetter devant la boîte à lettres… puis elle forme un nouveau numéro et prévient M me Chatelin du Comité de la Croix-Rouge en lui demandant de venir avec son mari, le docteur Chatelin, et surtout d’apporter beaucoup de médicaments.
15 h 40 – Triage de Betheny.
Nicolas Marceau et une dizaine de « V.B. » qui comblent des trous de bombes le long du triage décident d’aborder le train à contre-voie. Chacun remplit un seau d’eau. Mais arrivés à moins de dix mètres des wagons du centre, ils sont repoussés par les mitraillettes de trois convoyeurs.
15 h 55 – Reims gare.
Les wagons du 7909, ramenés par un tracteur de manœuvre, s’immobilisent quai n° 3. Retenu au tourniquet du contrôle voyageurs par un feldgendarme, le docteur Joseph Bouvier parlemente :
— Je ne suis pas sur la liste du personnel de la Croix-Rouge… tout simplement parce que je suis le président… le directeur de la Croix-Rouge. Ici tout le monde me connaît.
— Bon ! Allez !
M lle Pierre, le docteur Chatelin, M me Chatelin l’entourent aussitôt, lui décrivent les conditions particulières du « transport ».
— Allons trouver le responsable.
— Il est là-bas, devant la voiture voyageurs.
— Suivez-moi !
L’officier S.D., visiblement ennuyé et énervé, réclame leurs papiers professionnels aux deux médecins :
— Je les lui présentai cxlvi . Sans me donner l’autorisation de rester, il ne fit cependant aucun geste pour me repousser… Un interprète qui était arrivé sur ces entrefaites m’indiqua qu’il y avait des morts dans les wagons. J’intervins personnellement auprès de l’officier qui, je le répète, paraissait fort ennuyé, pour qu’il ouvre les wagons. Après hésitation, il coupa lui-même les fermetures à l’aide d’une pince et aussitôt des hommes évanouis tombèrent sur la voie. Les gardiens, pensant que ceux-ci voulaient s’enfuir, intervinrent, mais ils se rendirent compte tout de suite qu’il s’agissait de moribonds ou presque. Toutefois, à grand-peine, nous avons réussi à sortir deux cadavres que nous avons transportés dans une petite baraque à proximité du convoi cxlvii .
15 h 15 – Reims gare.
(wagon Habermacher-La Perraudière).
Des camarades cxlviii , la tête aux ouvertures, crient :
— Ouvrez ! Ouvrez-nous, on étouffe. Il y a des morts !
Bah ! qui va s’occuper de nous ? Pourtant, ô surprise, la porte du wagon à bestiaux roule lentement. Je suis tout auprès. Un torrent d’air s’engouffre, je respire enfin !
Une voix à l’accent allemand :
— Sortez les cadavres.
Des camarades, par-dessus les têtes de ceux qui, comme moi, sont assis, enchevêtrés, font passer quelques corps. Un soldat approche sa tête à la hauteur de la mienne, il ordonne :
— Sortez celui-là… aussi.
Suis-je donc mourant ? On me descend car je ne peux me remuer moi-même et on me couche sur le quai. Je n’ai aucune force mais au moins je respire, je reviens à moi.
— Ce n’est pas un Juif. C’est un prêtre !
J’entends des camarades dire ces mots dont je ne saisis pas la signification en ce moment. Ils me l’expliqueront plus tard : ils viennent de me sauver la vie. Le soldat allemand vient, paraît-il, de dire :
— Le vieux Juif-là, pas aller au bout !
Et charitablement, il a pris l’arme qu’il avait à la bretelle et s’est apprêté à me casser la tête d’un coup de crosse. Surpris de la rectification de mes camarades, il arrête son geste au dernier moment et remet l’arme à la bretelle. Moi je n’ai rien vu, rien compris. Je respire avec délices.
La porte du wagon roule à nouveau et est refermée. Un espoir fou : le train va repartir sans moi, on va me laisser à Reims, me mettre dans un hôpital !…
Non, tout de même pas ! Au bout d’un instant, comme j’ai tout à fait repris mes sens, on me dit de me relever. J’y parviens, mais je flageole. Un soldat d’un côté, une infirmière française cxlix de l’autre m’étayent et me font marcher – difficilement – vers l’arrière ; du train. Je veux parler à cette dernière. Le soldat s’y oppose.
— Pas parler !
Elle ne répond pas. Où me mène-t-on ?
Ah ! le dernier wagon est parti vide cl . On m’y fait monter : il y a déjà six camarades mal en point comme moi. On referme le wagon. Quel luxe ! Tant d’espacé pour nous sept qui sortons de nos
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