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Le train de la mort

Le train de la mort

Titel: Le train de la mort Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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boîtes à sardines !
    15 h 55  – Reims gare (wagon Rohmer).
    On entend cli appeler au secours depuis les wagons voisins. Ce cri s’amplifie et, comme repris en chœur par tous les wagons, gagne le nôtre. Tous appellent :
    — Au secours, Hilfe, ouvrez les portes, nous avons des morts.
    Enfin la porte s’ouvre. Un SS apparaît ; après un silence il crie :
    — Was ist los ? Ruhe, Schweinhund.
    Je m’approche de la porte, lui explique en allemand que deux de nos camarades sont morts par manque d’air ; il n’en paraît pas étonné et donne l’ordre de les ; décharger. Les deux cadavres sont passés de bras en bras. Nous essayons de faire changer de wagon Nikis dont l’état semble alarmant, pendant que je signale au SS que notre baril est vide. Le SS repousse la porte et tous nos appels restent sans réponse.
    15 h 55  – Reims gare (wagon Weil).
    Jetant clii un coup d’œil par le soupirail, je vois que la Croix-Rouge réceptionne quelques morts sur des brancards. Je fais signe à Fuchs que ça va mal, et nous donnons l’ordre que personne ne se lève. S’ils s’aperçoivent de la réalité, cela va être la panique.
    Un premier détenu étouffe. Immédiatement, nous arrivons par miracle à faire la place d’un homme allongé sur le plancher et nous décrétons : tout malade sera traité :
    1° par une raclée,
    2° par un verre d’eau.
    Le défilé commence, c’est hallucinant, mais il n’y a pas de mort car les gars sont bloqués immobiles et il n’y a pas d’angoisse ; peut-être, après tout, parce que ce sont des médecins qui s’occupent des inanimés.
    Je mets une série de paires de gifles à Dartout, petit maquisard de vingt et un ans, « yé-yé » d’alors, qui s’est payé le luxe par la suite de faire douze camps de concentration ou kommandos. Je dois avouer maintenant qu’il a eu deux verres d’eau, parce que nous le protégions depuis Eysses, où j’avais vu en lui le gosse héroïque.
    Kienzler, qui avait placé une bombe à mèche à l’office de placement allemand de Montluçon, paye son dévouement et son activité ; il est pris d’une crise d’un effroyable essoufflement, devient pâle, ses yeux chavirent. Alors là, j’ai perdu pied, je l’ai supplié de ne pas mourir. C’était mon compagnon depuis Clermont-Ferrand, depuis Combat, toutes les prisons, tous les espoirs et les sales moments. Il s’en est tiré parce qu’il savait que j’avais encore besoin de lui.
    *
    * *
    Paul Weil, un géant de un mètre quatre-vingt-treize…
    Nous cliii lui dûmes tous de rester en vie grâce à son autorité et à l’obéissance dont nous fîmes preuve à son égard.
    Dans le wagon précédant le nôtre où nous avions vu à Compiègne monter le docteur Rohmer et le professeur Vlès qui était le patron de mon ami Weil, ainsi que d’autres amis du camp, j’entendis, lors d’un arrêt vers le milieu de l’après-midi, des appels pathétiques du docteur Rohmer faits en allemand, pour attirer l’attention des gardiens et leur expliquer qu’ils avaient déjà de nombreux morts dans leur wagon, et qu’ils allaient tous mourir s’ils ne les libéraient pas. Peu à peu, nous sentîmes que nous allions y rester, mais par chance, presque tous ceux qui étaient enfermés dans notre wagon, restèrent suffisamment calmes pour ne pas céder à la panique et à la folie. Le docteur Paul Weil nous l’avait expliqué : sans cette discipline, ce serait notre mort à tous. « Il faut tenir, disait-il, jusqu’à la nuit. Nous allons arriver et tout s’arrangera ! » Je passe sur nos pensées durant ces moments, car nous avions comme la certitude que cette fois-ci la mort serait pour nous. Nous ne pouvions rien faire d’autre que de penser ou d’essayer de rêver aux jours heureux du passé : nos familles, nos amis, nos parents, la joie de vivre de ceux qui peuvent respirer librement ou boire simplement de l’eau à volonté.
    Nous étions partis dans la Résistance en sachant que peut-être nous allions mourir, mais le plus atroce était de mourir asphyxiés, impuissants devant une mise à mort que nous aurions acceptée plus volontiers si elle avait été plus brutale, plus violente, plus héroïque. Je me souviens que, lors d’un arrêt, un officier allemand, accompagné de soldats et toujours les armes braquées vers le wagon, vint demander s’il y avait parmi nous des morts, et combien il y en avait dans notre wagon. Nous avons bien des

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